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Une vraie histoire d’amour sous forme d'un conte moderne efficace

Olivier Sourisse a dû se faire violence pour confier au plus grand nombre, à des intimes comme à des inconnus, son histoire la plus crue, vécue lorsqu’il était adolescent. Un vécu tiré du nerf de l’existence. Et croyez-le ou non, mais c’est déjà un miracle de survivre à cela.


Léo et Siegeer ont 15 ans. Depuis leurs douze ans, ils vivent une histoire d’amour. Qui niera l’amour à cet âge niera la vie. 15 ans en 82, qui pourraient être 15 ans aujourd’hui, dans une cité HLM. Une histoire d’amour se situant à Nantes.



Une cité où l’on y dort, on y vit, sans réelle chance de s’en sortir.



C’est Léo qui le dit, avec le souffle de l’ado que l’on veut faire grandir trop vite. La maturité comme meurtrière de l’enfance. Ils s’aiment donc, découvrent les plaisirs sensuels, ont déjà conscience des dangers d’en révéler à autrui les sens cachés. 15 ans, c'est aussi grandir, c’est vouloir avant de détenir le pouvoir. Sauf qu’à eux, on ne leur permet même pas de le vouloir. Pour une simple raison, on haït les pédés. Et encore, dans « Mes amours souterraines » - c’est d’ailleurs sa force - l’amour passe avant le genre. L’amour n’est pas genré, il est Amour. Pour cela, ça en fait un roman universel. Quoi qu’il en soit, de leur point de vue à eux, être né pédé c’est être condamné à ne pas être soi. À ne pas être né tout court. Mort avant d’avoir vécu. D’ailleurs, ça tombe bien, 82, c’est l’époque où certains voient en l’apparition du Sida un formidable génocide contre tous ces pervers comme une mention divine inscrite dans la bible. Sauf que le Sida n’existait pas au moment de sa première écriture. Fin de clap donc sur cette séquence : non, le Sida ne les tuera pas ni Dieu. Mais quoi alors, l'école ? Vous comprendrez pourquoi cette question, dès la première la page.


Et si la narration au présent couvre l'année de leurs 15 ans, on est saisi par l'origine de cet amour, divulguée sous forme de brefs flashbacks. A l'instar de leur première rencontre, à douze ans, donc, un dimanche matin. À une heure ritualisée par la dure vie de famille de cité, elle-même soumise à ses propres traditions. Selon la chaîne des valeurs de l'ordre social. Une rencontre sous les arcanes commerçants. Envoyés, l’un chercher du pain, l’autre des cigarettes. Ce jour-là, un échange de regards suffira pour qu’ils se comprennent. Malheureusement, en silence, tant ils sont timides (pas évident quand l’amour vous tombe dessus comme ça). Ce qui allait signifier, pour eux, espérer, devoir attendre, passer secrètement un contrat avec le diable pour revoir l’autre, avoir ce courage-là. Ce sera plusieurs mois après, à la fête foraine. Cours Saint-André à Nantes, à l’ombre de la cathédrale. Bref, si les manèges font hurler les fans de vitesse, eux ils ont le vertige de l’instant magique, du cœur immobile, des âmes aimantées. Mais comme ils sont accompagnés de leur famille, ne pensez pas l’inverse – ce sont eux les rois ce soir là – ils vont se fuir pour ne pas se trahir. Pour aussitôt se retrouver pour ne plus se quitter. Se quitter, vraiment ? Ce qui est certain pour eux, à cet instant, c’est que oui, à douze ans, on peut tomber amoureux d’un coup, avoir le corps qui tremble des désirs nouveaux, la peau moite. Et si l’impatience les brûle, peu importe, ils se réaliseront, ils s’en font la promesse. Mais pas avant de se débarrasser de leurs peurs. Pour ça, ils vont défier l’image qu’on leur impose d’avoir en public, pour en faire une armure. Ah ! Malin qui croyait prendre.


S’aimer donc, mais où ?


Comme dans leur famille respective on préfère un soldat mort à un fils pédé, et qu’ils entendent à longueur de journée les menaces qui pèsent sur ces folles de cité, Léo et Siegeer vont convenir d’une ancienne chaufferie pour leur servir de refuge. Pratique, pour une vie souterraine vu que personne n’y vient sinon pour dissimuler ses travers d’alcoolique, de chômeur devenu négoce en haschich, de sacrifié sur l’autel de l’économie à la dérive. Par chance, pour ces deux garçons, ce n’est pas cela qui les anime. Eux, ils sont même en quête de pureté. Le comble, dirait les détracteurs.


Car oui, la cause est belle. La vie vaut d’être vécue malgré l’adversité. La preuve, ils vont passer trois années à s’aimer ainsi, sous terre, avec passion. Oui, la cause est belle de raconter sa vie lorsqu’elle est sincère et dénuée d’égo, nous met face à nos défauts, nos doutes, nos incompréhensions, lorsqu’on se fait auteur des origines familiales, la page blanche comme la psyché de son soi profond.


Pour autant, ne croyez pas qu’il s’agisse d’une écriture psychologique au mauvais sens du terme, hermétique. Bien au contraire. Olivier Sourisse aime raconter la vie, celle des autres, avec sincérité, et des dialogues communs qui font mouche. C’est même le genre d’auteur qui s’efface derrière son écriture, pour nous offrir sa vie. Dans « Mes amours souterraines », c’est clairement ce que l’on ressent.


Même si ce roman est celui de ses amours de jeunesse, de cet amour en particulier, à travers son double, Léo, il est aussi un formidable témoignage sur une épopée familiale à travers le contexte politico-social de ce début des années 80. De par son père, ancien contremaître désormais en préretraite, socialiste par défaut (on comprendra pourquoi). De par sa mère bien sûr, avec sa façon de considérer la vie comme un plaisir douteux à partir de trente ans. De par sa sœur Anaïs qui s’affiche en rose pour pallier au gris cauchemardesque de ce ciel unique, dont elle espère fuir dans les bras de son prince charmant, à l’ambition monstrueuse. De par ce couple orphelin de leurs fils morts du Sida. De par les rencontres que va faire Léo durant ces vacances, à l’ombre des cimes alpines, dans les vapeurs de lieux underground. Puisqu’il a promis de respecter le défi, lancé par Siegeer « Comme preuve de leur amour ». Et ce, jusqu’à ce qu’une


écume ogresse vienne mettre un coup d’arrêt à ce road incroyable.


J’ai rarement vécu la vie des personnages d’un roman à ce point. C’en est troublant, ça nous remet à notre place d’humain, avec nos ambiguïtés, sans que l’écriture soit juge. Bref, ce roman est une claque faite à l'insipide littérature. Loin de toute soumission à la tiédeur des morales actuelles. Une histoire d’amour au goût d’un conte moderne efficace. Une lecture nécessaire qui m'a fait réaliser qu'il existera toujours une jeunesse éclairante pour guider les suivantes.


Mes amours souterraines, Editions Orizons
http://editionsorizons.fr/

K-DOF
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Créée

le 3 août 2020

Critique lue 405 fois

K-DOF

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