Loin de son début médiatisé (à outrance?), je me suis laissé enfin séduire par l’appel de ce jeune homme, sa confidence d’avoir été le souffre-douleur d’une famille désœuvrée politico-mentalement, au cœur d’une France des oubliés. Et comme j’ai bien fait d’attendre. Sûrement, si j’avais cédé aux sirènes, dès sa sortie, mon analyse aurait été faussée par l’apparition charmante et vive de l’auteur, dans son encore frêle jeunesse, sur les plateaux télé, encensé, à qui on pardonne tout. Probablement, son aspect victime à la gueule d’ange m’aurait fait tourner la tête, m’aurait fait mentir sur ce qui au fond de moi demeure une énigme, et qui pourrait se traduire ainsi : à quand la vérité sur les actes et leurs conséquences ? Car là est bien le souci de ce livre, dont il me paraît inutile de narrer l’histoire (si reproduite dans les critiques), dans cette sensation d’une écriture miroir, si sûre d’elle-même, sans autojugement, que sa manière à trancher les sujets finit par élaguer tout un pan de sa dite réalité, et celle des autres.
Ainsi donc, si Édouard Louis argumente lorsqu’il s’agit de subir, de se laisser cracher dessus, qu’on en veuille à son corps de « fille », d’une façon indéniable, il construit cette parenthèse de sa vie de gay comme un « conte cruel » manichéen. Et le pire, certainement pas pour faire pleurer dans les chaumières. Car on l’a bien compris, Édouard Louis ne se veut pas être romancier, mais être calife à la place du calife, Bourdieu à la place de Bourdieu. À un détail près : sans se soucier de toutes les origines du mal dont souffre cette population qu’il dit comprendre, défendre, parfois haineuse envers l’étranger, certaine qu’elle est victime des riches, moquée, voire ignorée par ces intellectuels dont Édouard Louis est depuis, oh le grand paradoxe, un chantre illustre. Non pas que j’aurais voulu qu’il pardonne à ses parents intolérants, sa famille homophobe, mais qu’il ajoute une sincérité supplémentaire, taille dans le vif de toutes les contradictions, des humiliations et des provocations, les leurs, les siennes.
Alors, certains vont me demander pourquoi avoir mis un 7 ? Je l’avoue, j’ai beaucoup hésité à lui accorder une telle note. Mais pour un premier roman, même si on sent l’influence de ses deux amis dans l’orientation de ce récit, Didier Eribon et Geoffroy de Lasgenerie, nul doute que Édouard Louis va compter dans le paysage littéraire, grâce à son ton, si bien sûr, il ne se noie pas dans la caricature du penseur se croyant au-dessus des pensées des autres, et surtout, s’il parvient à choisir son camp entre roman, récit, essai. Ce serait déjà être sincère avec lui-même, avec les lecteurs, et les existences dont il côtoie et qu’il aime, semble-t-il, en absorber la moelle pour en faire l’œuvre de sa vie, sa mise en lumière imposée, sa célébrité « miséreuse » pour ne pas l’assumer.