Un portrait inédit d'Hélène de Troie, débarrassée de tous les clichés qui lui collent à la peau

Hélène... l'évocation de ce prénom ne laisse personne indifférent. Hélène, mais oui, bien sûr, la plus belle femme du monde, cette séductrice responsable de la guerre de Troie ! Hum, en êtes-vous si sûr ?



L'auteur



Docteur en égyptologie, archéologue et historienne, Amandine Marshall a écrit ce roman, Moi, Hélène la maudite, alors qu'elle participait à des fouilles archéologiques sur l'île grecque de Thasos, il y a de cela une petite dizaine d'années… En effet, après avoir essuyé plusieurs refus de la part d'éditeurs estimant qu'une égyptologue ne pouvait pas écrire un roman sur la mythologie grecque, Amandine Marshall a soigneusement rangé ce manuscrit dans un tiroir tout en gardant l'espoir qu'il serait publié un jour. Et ce fut chose faite en 2017 !
Lorsque je me suis décidée à lire ce roman, j'avoue avoir eu un moment d'hésitation, craignant, vu le curriculum vitae de l'auteur, d'avoir entre les mains un roman savant et pompeux ne parvenant pas à se fondre dans les codes du roman historique. Mais, comme toujours, je ne juge que sur pièce et je me suis donc lancée dans la lecture.



Rendre justice à Hélène...



En consultant les différentes sources antiques relatives à l'histoire d'Hélène – elles sont citées en fin d'ouvrage –, l'auteur s'est aperçue que ce personnage mythologique avait été quelque peu maltraité par certains auteurs tardifs grecs et latins qui ont déformé son histoire au point de transformer Hélène en un personnage cynique, prétentieux et insensible, responsable du déclenchement de la guerre de Troie. Certes, tout le monde en convient, Hélène est la plus belle femme du monde, mais est-elle réellement un personnage machiavélique et sans coeur ou bien la victime impuissante d'une malédiction divine et le jouet des hommes ?
Puisant dans ces différents récits antiques, Amandine Marshall a choisi la forme romancée, plus précisément la forme du témoignage, pour raconter la vie d'Hélène, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, et partant de là, pour redorer le blason de ce personnage. Car sa vie ne se résume pas à la guerre de Troie, loin de là !



Un récit captivant



Première plongée dans le temps, atterrissage en 500 avant Jésus-Christ, à Rhodes. Dans ce court chapitre introductif empreint d'une atmosphère lumineuse, pleine de chaleur et de senteurs, le lecteur fait la connaissance de Lysis, une jeune femme qui, déterminée à épouser Agésilas, l'homme qu'elle aime, décide d'invoquer l'aide de la déesse Dendritis – nom sous lequel Hélène était vénérée à Rhodes – en se rendant à son temple. Mais une fois arrivée devant l'enceinte sacrée après une longue marche, elle se rend subitement compte qu'elle a oublié d'apporter une offrande ! Tant pis, elle retournera au temple le lendemain et, sur le chemin du retour, elle ne peut s'empêcher de songer à Dendritis et à sa légende noire :


"[…] la jeune Rhodienne se demanda si Dendritis avait elle aussi connu les mêmes tourments de l'amour. Lysis connaissait sa vie par les chants des nombreux poètes qu'elle avait incontestablement inspirés, mais les versions différaient : les uns assénaient qu'elle n'avait été qu'une femme froide, manipulatrice et égoïste alors que les autres prenaient sa défense, invoquant une faible femme, à la merci des hommes et des dieux, qui n'ait eu pour elle que son incomparable beauté."


Touchée par le désarroi et l'attention de Lysis à son égard, Hélène apparaît durant le sommeil de cette dernière et, tout en lui garantissant qu'elle se mariera bien avec Agésilas, elle lui dévoile son histoire, la vraie :


"En général, les Hommes croient ce que disent les poètes et lorsque ceux-ci sont d'avis partagés, la légende naît et nul ne se soucie plus de la vérité. Les poètes ont raconté tant de choses sur moi… Pourtant, peu d'entre eux ont su esquisser quelle avait été véritablement ma vie, ou plutôt mon cauchemar. Vois-tu, Lysis, je n'ai jamais eu d'amie à qui me confier, j'ai toujours été désespérément seule et j'ai souffert toute ma longue vie de voir les gens – hommes et femmes – me juger et me condamner sans appel, sans même me laisser une chance."


C'est là qu'intervient la seconde plongée dans le temps... dans la nuit des temps, en compagnie d'Hélène. Mené à la première personne du singulier, le fameux "je" de la confidence, le récit prend alors une telle force que l'on se sent extrêmement proche d'Hélène, partageant sa vie, ses pensées et ses émotions. Tombée sous son charme, émue par ses souffrances et sidérée par les épreuves qu'elle a traversées, j'ai été totalement happée par le récit et par l'écriture envoûtante de l'auteur, tout en délicatesse et en fluidité, plongeant ainsi dans un fabuleux voyage dans le temps, dont j'aurais aimé ne jamais sortir...



Une saga familiale antique !



Ce roman est une véritable saga familiale antique, une épopée, avec des personnages si bien incarnés, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs émotions, que je n'ai pas pu m'empêcher de croire à certains moments qu'ils avaient réellement existé ! Tyndare, Léda, Thésée, Ménélas, Agamemnon, Clytemnestre, Priam, Hécube, Pâris, Oenone, Hector, Cassandre, Andromaque, Achille, Ajax, Déiphobe, Ulysse, Pénélope, Oreste... tous ces personnages et tant d'autres encore figurent dans ce roman qui parvient à nous présenter de manière claire la mythologie grecque non pas comme un ensemble d'histoires abstraites et décousues mais comme autant d'épisodes et de personnages reliés les uns aux autres.
Toutes proportions gardées, car on n'est ni sur le même public, ni dans le même genre littéraire, l'angle d'approche – des dieux et des déesses qui semblent faits de chair et de sang – m'a fait penser à la série de romans fantasy "Percy Jackson" de Rick Riordan, destinés aux adolescents. Passionnée de généalogie, je me suis régalée de toutes ces histoires de famille et j'ai apprécié la présence en fin de roman des deux arbres généalogiques et des cartes ! Au fil de ma lecture, tous ces épisodes qui me semblaient jusqu'alors vides de sens se sont connectés au fur et à mesure les uns aux autres comme dans un circuit électrique et une fois la dernière page tournée je me suis aperçue que j'avais assimilé énormément de connaissances sans même m'en apercevoir !


L'aspect physique du livre y est certainement aussi pour quelque chose : son format est agréable, la mise en page est soignée, le noir texte est bien équilibré. Mon seul petit bémol porte sur le graphisme de la couverture dont je ne raffole pas même s'il a le mérite d'être clair et identifiable de loin : compte tenu de la richesse de ce roman et de son contenu très incarné, le graphisme me semble trop strict et plus adapté à un manuel de mythologie grecque qu'à un roman.


Pour finir, je dois vous l'avouer, mais j'ai usé de tous les stratagèmes imaginables pour ne pas lire trop vite et pour rester le plus longtemps possible dans cet univers dans lequel je me sentais bien. La chute du roman a été une véritable surprise pour moi, voire un choc, car j'ignorais comment Hélène avait péri… j'étais même révoltée ! Et je ne voulais pas la quitter...
Alors, à la question posée en début d'article – Hélène est-elle un être froid et machiavélique ou bien une femme victime des hommes et des dieux ? –, je pense que vous vous doutez de ma réponse ! En donnant la parole à Hélène et en puisant dans les différentes sources antiques, Amandine Marshall nous offre un magnifique portrait de femme, débarrassé de tous les travers dont on l'a affublée, une femme courageuse sur laquelle le sort s'acharne mais qui jamais ne baisse les bras, une femme qui pourrait ressembler à bien des femmes aujourd'hui...

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Créée

le 10 sept. 2019

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