Ce roman sidérant, longtemps censuré pour son approche crue du quotidien morbide des ghettos, est un témoin indispensable d’un enfer peu documenté, celui qui précède les rafles vers les camps d’extermination, celui qui parfois s'éternise des années, raconté avec les outils de la fiction, parce qu’elle permet de poser des mots froids sur l’horreur.
On suit le récit halluciné d’un captif dans un ghetto fictif (inspiré par le ghetto ukrainien dans lequel l’auteur lui-même a séjourné), et qui fait craindre la nuit et redouter son voisin. En effet, dès l’extinction des dernières lueurs, il faut à tout prix se mettre à l’abri pour éviter les rafles, et la difficulté de trouver cet abri vital (entre autres nombreuses privations) interdit toute solidarité entre les détenus. Comme tenant une caméra, l’auteur nous trimbale dans les rues d’une prison à ciel ouvert et dévoile sans détour les stratagèmes mis en place pour survivre. Parquées dans les ghettos, privées de l’extérieur, privées de l’accès à leurs besoins primaires (la nourriture est rare, l’hygiène absente, les individus s’entassent par dizaines dans des pièces minuscules où ils couchent à même le sol...), et partant privées de leur dignité, les victimes sont condamnées à devenir bourreaux.