Luigi di Ruscio est un auteur italien assez peu connu dans la sphère francophone. Poète de la province populaire et de la bohème prolétarienne, adhérant un temps au PCI mais évoluant rapidement vers un communisme plus anarchisant, il fait l’objet d’une redécouverte tardive grâce à cette nouvelle traduction française. C’est à bon droit que le préfacier de cette édition, Massimo Raffael, le compare à Vallès et voit dans son écriture « la richesse plastique d’une satire latine revisitée ». Avec Palmiro, qui est son premier ouvrage en prose, nous avons affaire à la fois à un roman de formation et à un anti-roman, on n’y trouve pas de récit suivi mais une sorte de plan de coupe d’une petite ville italienne durant la période qui suivit la Libération. Le jeune héros parle de ses visites au bordel, des travaux de terrassement d’une route auxquels il participe, des réunions de sa section communiste, souvent longues et peu productives, et surtout de ses amis, dont il dresse les portraits à tour de rôle – La Rouille, le fils du chaudronnier à la charge de ses frères, dont les exploits de résistant prêtent à sourire, les « poètes dilettantes et autodidactes » qui pullulent dans la section, la belle Caterina dont il nous dit : « Elle caractérisait qui la regardait mais était sans cesse menacée de dépersonnalisation, risquant de devenir drapeau, idéal, concrétisation potentielle des idéaux masculins. Bref elle caractérisait tout mais restait incaractérisée. »
Le texte, construit souvent sur la répétition d’une même séquence et sautant volontiers du coq à l’âne, se présente comme un patchwork d’épisodes souvent burlesques : un petit escroc se travestissant en soldat allemand pour dépouiller des paysans, des tireurs d’élite postés sur les bâtiments historiques de la ville pour abattre les pigeons, une succession d’enterrements de notables et de héros de la Résistance où chacun essaie de déployer plus de pompe que les autres. Et comme le dit Tiffon, garçon-coiffeur stalinien souffrant de nanisme et fasciné par les carbonari, « y a qu’avec un parti comme pur organe et pure syntaxe que notre classe sera plus aussi merdique que les autres, la révolution va les défoncer toutes, ces classes de merde, et la matière sera en fusion. » Une chronique, pleine d’humour, de ce que put être en Italie, une fois les passions de la guerre apaisées, la lutte des communistes et des démocrates-chrétiens. A lire comme on regarde un film de Don Camillo.