Le 11 février 2005, l’auteur et narratrice, alors âgée de dix-neuf ans, est violée dans la forêt à proximité de chez ses parents. Faute d’identification du coupable, la police classe l’affaire. Mais, douze ans plus tard, alors qu’heureuse et enceinte de son deuxième enfant, elle est soudain convoquée pour identifier formellement son agresseur, interpelé dans le cadre d’une douzaine d’autres viols. Pour elle, le procès qui s’ouvre est une nouvelle épreuve, tout aussi déshumanisante, en ce qu’elle la ramène à nouveau à l’état d’objet et de corps sans âme.
C’est sous la forme d’un roman aux allures de témoignage qu’Elsa Fottorino a choisi de réécrire son histoire, dans une ultime victoire personnelle sur l’indicible et le silence. Un silence dans lequel elle s’est longtemps retrouvée emmurée, parce qu’entravée par la pudeur et l’effroi, elle n’a pu que donner le change à ses proches, eux-mêmes maladroitement soulagés de pouvoir implicitement croire la page tournée. Puisque son agresseur n’est pas allé jusqu’à la tuer, et comme elle semble avoir repris le cours normal de son existence, tout n’est-il pas bien qui finit bien ?
Pourtant, esquivée et différée, la douleur ne faisait qu’attendre son heure. Pas seulement que l’on retrouve, puis que l’on punisse le coupable, au terme d’une procédure judiciaire, en bien des aspects insupportable, qui, si elle a le mérite de faire reconnaître la gravité du préjudice, laisse encore aux victimes tout le travail sur elles-mêmes pour s’en affranchir. Mais que la narratrice parvienne enfin, dans un récit réparateur, à exprimer clairement, avant d’en faire le deuil, ce que le viol a tué chez elle, pour ensuite, plus forte de ce courage, se sentir en droit de se libérer de sa honte et de sa culpabilité, comme de l’apitoiement de son entourage.
Voyage au plus profond de l’intime que l’on comprend vital, ce roman éblouit par la beauté de son écriture autant qu’il impressionne par le courage de son auteur. S’il est une étape vers un apaisement personnel, il est aussi un témoignage bouleversant sur le poids du silence dans les mécanismes du traumatisme, et sur la complexité des sentiments et du quotidien des victimes.
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com