Aujourd’hui, les séries télévisées connaissent un âge d’or. Qui pourrait douter que leur sérialité, dont le rythme narratif s’adapte et s’inscrit si bien dans notre quotidien, soit devenue une composante essentielle d’une certaine culture de masse ? Divisées en saisons, elles-mêmes divisées en épisodes, les séries télé modèlent une temporalité singulière : qu’on les déguste ou qu’on les binge watch – littéralement, que l’on s’en gave –, une part importante du plaisir que l’on prend à les regarder tient à leur condition de visionnage, à la manière dont en tant que spectateurs l’on embrasse leur narration fragmentée. Pourtant, même si cela a tendance à changer, les séries restent encore trop souvent – surtout en France – reléguées au statut de simples divertissements, considérées comme de purs objets de consommation dignes de peu d’intérêt.
Sériephile qui s’assume, Martin Winckler n’a pas pour autre ambition, dans cet essai court mais apéritif, de (re)donner aux séries leur juste valeur : celle d’être, lorsqu’elles sont réussies, le miroir et le laboratoire d’interrogations contemporaines passionnantes. Après avoir rappelé dans les grandes lignes leurs conditions de création, de production et de diffusion, Martin Winckler aborde les caractéristiques qui selon lui font les bonnes séries et les réflexions éthiques et/ou sociologiques qu’elles soulèvent ; le tout nourri d’exemples affectionnés par l’auteur, qui n’a ici aucune prétention à l’exhaustivité. Les séries américaines sont abondamment citées par Winckler, pour des raisons évidentes : c’est aux Etats-Unis que sont nées les séries télé ; et c’est ce même pays qui, entre les networks et les chaînes câblées, en a nettement nourri la diversité de genres et de formats. Sans tomber dans la critique facile des séries françaises, Winckler leur consacre un chapitre où il déplore tout de même le triste sort réservé à la production de séries audacieuses dans l’Hexagone, ainsi qu’à la programmation de séries étrangères de qualité : diffusion complètement aléatoire (mélange d’inédits et de rediffusions) et à des horaires assassines, censure par le doublage en VF, lui-même souvent fait à la va-vite (c’est bien connu, les Français ne savent pas lire les sous-titres), sans compter ensuite des sorties en DVD plus qu’hasardeuses, etc. À la place, les grandes chaînes hertziennes privées, championnes dans l’art de nous servir toujours la même soupe qui leur permettra, à moindre frais, d’attirer les annonceurs, semblent nous prendre pour des idiots, et bafouer le droit des spectateurs à voir de bonnes séries. Et l’on s’étonne, après, du succès du peer-to-peer…
Heureusement, leur profusion allant bon train et la concurrence se faisant de plus en plus rude, les séries cessent peu à peu de n’être que de simples remplisseurs d’horaires pour devenir de vrais enjeux télévisuels : dans la jungle des séries, seules les productions de qualité (il existe à ne pas en douter d’excellents créateurs de séries, pour peu qu’on leur laisse la liberté de créer), ainsi que la multiplication des possibilités légales de visionnage, pourront permettre de recueillir l’audience nécessaire à leur survie, voire à leur rayonnement international. Sans son public, une série n’est rien et ne peut durer ; aussi tout spectateur n’a-t-il pas à se justifier d’aimer telle ou telle production : la valeur d’une série se mesure avant tout au plaisir que l’on prend à la regarder ! Martin Winckler, lui, nous en liste 77 à la fin de son ouvrage : de quoi nous donner quelques idées… en toute subjectivité.