Tom Elliott est le propriétaire du Bonheur, sur Small Fox Road à Shellawick. Mais qu’est-ce donc que le Bonheur ? C’est un lieu où vous ne trouverez ni d’après-shampooing, ni de fleurs artificielles, et surtout pas de pop-corn, car c’est un « Supermarché indigne de ce nom ». En revanche, vous pourrez vous asseoir dans le fauteuil de barbier qui sent l’huile de pied de bœuf et le cuir et raconter ce qui vous passe par la tête à Tom, en buvant du Dry Corny. Ou bien rester des heures dans ce même fauteuil sans dire un mot, et il écoutera votre silence. Si vous passez au Bonheur, vous verrez peut-être un vieux ronchon qui déteste le monde, ou bien une femme vêtue d’une mini-jupe et portant des hauts talons boire du whisky japonais, du haut de ses soixante-dix ans. Exceptionnellement, vous croiserez peut-être le maire et son bandeau sur l’œil, mais vous ne verrez jamais Emily Dickinson, car elle n’a jamais mis les pieds au Bonheur. En entrant dans la supérette, Tom écrira probablement un haïku à votre sujet, sur une page d’un annuaire téléphonique. Combien de haïku a-t-il écrit pour l’instant ? Ce sera ça son nombre ? Le nombre qui résumera sa vie ? Mais le jour où Buffalo Rocks décide de construire le plus beau supermarché du désert juste en face du Bonheur, le nombre de Tom s’arrête de plus en plus d’augmenter. Comment écrire sur des clients qui n’existent plus ? Comment faire pour combattre ces jaunes dont le seul but est de vider la ville pour que tous les habitants aillent travailler dans l’usine de pop-corn ? Tom finira-t-il par « vendre des fleurs » ?
Popcorn Melody est une histoire pleine d’histoires. À travers ce huitième roman, Émilie de Turckheim, nous fait voyager entre les histoires toutes différentes de nombreux personnages. Ils évoluent tous dans cette ville perdue dans un désert de cailloux noirs, dans le Midwest, sous un soleil de plomb et envahie par les mouches. Mais Shellawick se vide peu à peu de ses habitants. La plupart se tuent à la tâche dans l’usine de pop-corn appartenant au grand groupe Buffalo Rocks qui domine l’économie de toute la région, les autres sont au chômage et passent leur temps au Toucan Dingue voir les filles danser, et une grande partie de tout ce monde boit l’alcool local, le Dry Corny, à longueur de journée. Tom Elliott, le personnage principal, est le seul habitant de son village à être allé à l’université. Son rêve à lui, c’était d’ouvrir un supermarché dans sa ville natale, où il ne vend presque rien, uniquement le nécessaire pour subvenir à sa « trilogie du bonheur » : manger, se laver et tuer les mouches. Cependant son rêve est mis à mal lorsqu’un immense supermarché à l’air climatisé ouvre ses portes en face de la supérette au petit ventilateur. Émilie de Turkheim nous raconte comment Tom, qu’elle considère comme un garçon « résistant », tente de survivre dans cette société capitaliste américaine, tout en pointant du doigt l’anéantissement des populations amérindiennes. Le lecteur est baladé entre les divers personnages qui constituent le livre et les découvre au fur et à mesure du roman, comme Tom apprend à connaître ses clients qui s’assoient chaque jour sur l’ancien fauteuil de barbier de son père qui fait office d’un sofa de psychologue.
Ce roman nous propose un véritable nouveau regard sur la vie. L’auteure possède une écriture fluide et inventive, et elle nous plonge dans un récit fantasque et émouvant. Ce n’est pas un roman qu’Émilie de Turkheim a écrit, mais bien une grande poésie de 204 pages. Cet œuvre, ample et dense, aborde différents sujets tels que la société de consommation, le gigantisme, le pouvoir de l'argent mais aussi les Indiens d'Amérique ou encore la notion de bonheur. Les personnages tous hauts en couleurs, nous proposent chacun à leur façon leur propre vision du bonheur, comme Fleur qui souhaite seulement profiter d’une bonne bouteille de whisky, ou encore Dennis Mahoney qui est à la recherche d’une pépite d’or littéraire. Au premier abord, l’histoire semble n’avoir ni queue ni tête. L’auteure nous raconte son récit et parle de ses personnages comme si nous savions déjà tout d’eux. Comme si nous connaissions déjà Matt, Jeff ou encore la Reine, et comme si nous connaissions la signification de « coye ! » « zate ! » et « touré ! ». Mais peu à peu, l’histoire du roman se tisse et le lecteur est éclairé. Ce style d’écriture laisse un suspens permanant, du début à la fin du roman. Certains éléments qui nous sont présentés dès les premières pages ne trouvent de réponse qu’à la toute fin de l’ouvrage, ce qui donne d’autant plus l’envie au lecteur de dévorer le roman et de le terminer le plus vite possible, pour enfin savoir par exemple pourquoi la mère de Tom a une cicatrice sur le front. Et tous ces éléments mystérieux sont noyés dans le flot incessant de description de paysages et de personnages, de précisions minutieuses qui peuvent paraître futiles ou bien inutiles à première vue, mais qui font toute la beauté du roman une fois mises bout à bout.
Popcorn Melody est un véritable coup de cœur. Si vous aimez les personnages burlesques, les voyages littéraires dans des univers inconnus comme les déserts du Kansas, les ambiances décalées, les anti-héros pourtant attachants, le quotidien raconté le plus simplement du monde et pourtant avec une poésie folle… Alors vous n’avez pas à hésiter à lire ce livre !
LauraneRose
9
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le 24 avr. 2016

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Laurane Rose

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