Le concept de ce roman est loin d'être frais ou novateur, mais l'angle choisi aurait pu être très sympa sur le papier. Sauf que Monsieur Bordage ne sait pas écrire. Il échoue à toutes les épreuves de l'écriture, y compris les plus élémentaires, faisant de ce livre une belle grosse merde qui m'a tout juste permis de m'occuper l'esprit dans les transports, mais dont je n'avais pas assez à foutre pour ne serait-ce que l'ouvrir durant mes week-ends et même pas durant les deux semaines de vacances que j'ai eues alors que j'en étais en plein milieu de sa lecture. Oh, c'est ma station ! Je le ferme, je l'oublie à tout jamais. Ah tiens, encore une dure journée de labeur achevée, rentrons à la maison... ah oui, c'est vrai que je lisais cette merde... Bon, okay, reprenons. Voilà à quel point cet ouvrage m'a transcendé. Mais voyons cela dans le détail.


1/ MONSIEUR BORDAGE NE SAIT PAS ÉCRIRE... LE FRANÇAIS.

Eh oui ! Même s'il est vrai que je suis très exigeant et volontiers pinailleur quand il s'agit d'employer correctement la langue française, je ne pense certainement pas être le seul à avoir pratiqué le "main-visage" régulièrement tout au long de cette publication. L'auteur fait beaucoup de fautes de français, dont la gravité varie du pathétique à l'impardonnable. Je ne me souviendrai jamais de toutes et je ne les ai pas notées, mais citons tout de même quelques exemples représentatifs : "une opignion" avec un putain de G, "un clope" au masculin comme si on était encore en 1915 ou dans une chanson communiste engagée, l'emploi systématique de "deuxième" à la place de "second" (oui, les médias français en ont fait tout autant lors des récentes élections, ainsi que plusieurs candidats ; c'est aussi aux médias français que l'on doit la déformation irrémédiable de termes comme "conséquent" ou "improbable")... Bref, ce genre de choses ; pas mal de termes et d'expressions mal maîtrisés ou employés à mauvais escient et diverses fautes d'orthographe ou d'accords.

Plus grave et beaucoup plus gênant pour la lecture, Monsieur Bordage n'a aucune cohérence dans son approche des conventions écrites du roman. Je ne lui en aurais pas voulu d'adopter un système de notation non orthodoxe, pourvu qu'il l'applique tout du long. Ici, tantôt on saute une ligne et ouvre des guillemets avant un dialogue, tantôt on va à la ligne et on y va de son grand tiret, tantôt un mixte des deux, tantôt on ouvre juste des guillemets en pleine phrase (qu'on oublie souvent de refermer) et tantôt on ne fait strictement rien pour signifier le passage de la narration à un dialogue ou d'un dialogue à un autre dialogue ou d'un dialogue à la narration. Que le lecteur se démerde et à lui seul de deviner qui parle. Parfois, on peut imaginer qu'il se soit délibérément caché derrière l'excuse de l'effet de style chaotique destiné à souligner la confusion des pensées des personnages... Il ne manquera sans doute pas d'invoquer cette excuse en cas de mise de son nez dans le caca sur ce point ; mais cet argument ne tient nullement la route, car il a aussi bien des passages où deux cerveaux fusionnés dialoguent ensemble en pleine confusion et où il utilise pourtant le saut de ligne et les guillemets et/ou tirets, que de passages où il n'y a aucune raison narrative pour justifier la confusion entre les dialogues et où il gerbe pourtant un pavé de texte au kilomètre mélangeant pêle-mêle les dialogues de plusieurs personnages, leurs pensées, celles du narrateur et moult apartés et didascalies. Sans aucune autre excuse que son incompétence en tant qu'écrivain.


2/ MONSIEUR BORDAGE NE SAIT PAS ÉCRIRE... LE RÉCIT (NOTAMMENT EN PARALLÈLE).

Si vous avez vu ou lu des œuvres faisant un usage efficace du format "récits parallèles qui se rejoignent par la suite", alors vous en passerez probablement par les mêmes déceptions que moi en vous farcissant ce bouquin. Tout d'abord, vous penserez qu'on doit bien avoir une raison d'en avoir quelque chose à foutre de chacun des récits ; mais, non. Ce n'est pas du tout, du tout le cas. On s'en contrefout de l'histoire de la black qui se trouve avoir subi tous les malheurs et toutes les atrocités possibles et imaginables, parce que Bordage a aimé Rémi Sans-Famille quand il était petit. On s'en tamponne le coquillard de l'histoire des flics cyniques et grossièrement incompétents désarçonnés par le flic bourru au cœur tendre à l'ancienne qui est moins cynique et très légèrement moins incompétent que les autres. On s'en bat la race de l'histoire du petit con de gosse de riches bobos complètement lâche, minable, égoïste et égocentrique, qui s'impose une méthode Coué permanente pour colorer d'héroïsme et de grandiloquence romanesque ses propres caprices de sale petit connard. Par-dessus tout, quand ces trois histoires merdiques et sans aucun véritable rapport entre elles fusionneront brutalement et merdiquement par les gros sabots de Mère Coïncidence (c'est Garth Ennis qui va aimer)... on s'en foutra encore bien davantage de la soupe mélo résultante, même vaguement teintée de SF policière et s'habillant de grands airs moralisateurs et philosophes.

C'est une histoire d'amour à la con que tu avais vraiment envie d'écrire, bonhomme. Tu as voulu la déguiser derrière du polar et de la SF, mais elle est quand même revenue à la surface sous la forme de tes deux principales intrigues. Navré de te décevoir, mais aucune des deux versions n'est vraiment convaincante et l'habillage fait grincer des dents. Cela dit, c'est vrai qu'il y a plusieurs passages où on a envie de savoir la suite de l'un des récits (notamment, pour ne pas faire trop de spoilers, les deux moments du bouquin où l'un des récits met l'histoire d'amour au premier plan) ; mais c'est dans ces passages-là que la faiblesse de l'ensemble et l'inutilité du format "récits parallèles" se font les plus flagrants : quand on se surprend à zapper spontanément deux chapitres sur trois, car l'un des trois récits est devenu ponctuellement intéressant !


3/ MONSIEUR BORDAGE NE SAIT PAS ÉCRIRE... LES PERSONNAGES.

Il y a une émigrée africaine dans ce livre. Elle est noire. Sa peau est de couleur noire. Vous verrez, un vrai travail de style a été engagé pour que sa vision du monde et sa façon de s'exprimer se démarquent nettement du commun des personnages quelconques. En effet, elle connaît fort bien l'existence ainsi que les caractéristiques principales de très nombreux animaux, d'une part, et elle n'est capable de prendre en compte l'existence d'un autre être humain qu'en l'assimilant à un animal précis, sur la base de sa première impression hâtive au premier regard posé sur cette personne, d'autre part (pourtant, son histoire telle que décrite dans le livre tend à démontrer que cela ne devrait pas être possible pour elle de connaître tous ces animaux). En outre, il lui faudra répéter le nom de l'animal à chaque phrase se rapportant de près ou de loin au personnage en question. La hyène a toussé. Le hibou s'est gratté le nez. Le loup de mer albinos de Sibérie m'a demandé son chemin dans le métro. Vous verrez, c'est subtil, crédible, original et parfaitement digeste. Ce n'est en aucun cas un cliché raciste involontaire résultant d'une volonté de l'auteur de Zazifier son propos démagogue de gauche. Sinon, elle évoquerait avec intensité ses maigres souvenirs de sa petite-enfance en Afrique noire, et lesdits souvenirs seraient un amalgame de clichés vus à la télé dans un quelconque documentaire sur les papous du trou du cul du monde qui se grattent la couille autour du feu avec le sable chaud et les maladies qui donnent la mort et les enfants-soldats et tout... Oh, wait!

Les autres personnages ont tous essentiellement la même façon de penser et de parler. Oh, bien sûr, çà et là, l'auteur a pris soin d'inclure des "Mille Sabords" pour tel ou tel perso, de façon infiniment lourdingue et répétitive. Par exemple, l'un des flics vient d'une région où l'on parle de "gouya" pour dire "gonze" ; il l'expliquera à une reprise, puis emploiera ce terme trois fois par page où il a la parole pour le restant du bouquin. Sinon, il y a le fait que les flics se donnent des surnoms entre eux, qu'ils emploient en permanence tout du long. "Passe-moi le sel, Le Miso !" dit L'Enculé (oui, vous avez vu ce que j'ai fait, là ? séparer le dialogue de sa description ? M. Bordage ne sait pas le faire). Ce n'est pas que ce soit relou, mais disons que c'est de la merde en soi et vraiment très très chiant à force d'être répété. C'est aussi valable pour le narrateur, qui a un vocabulaire fort riche et varié, vous verrez. Par exemple, le groupe de six flics comporte un chef de groupe, un deuxième de groupe, un troisième de groupe, un quatrième de groupe, un cinquième de groupe et, enfin, un sixième de groupe ! Vous rendez-vous compte ?!! "Bonjour" dit le troisième de groupe au sixième de groupe ; "comment ça va ? bien ?" répondit le sixième de groupe au troisième de groupe, tout en souriant au quarante-cinquième de groupe, lequel ignora royalement le troisième de groupe au profit du lourdingue de groupe.

Bien entendu, les actions de ces personnages si hauts en couleur, bien définis, crédibles et attachants parlent d'elles-mêmes. Surtout quand elles hurlent "ILS SONT TOUS SUPER MÉGA CONS, LES PERSOS, PUTAIN !!!" tout du long. Les flics, en 2040 (ou quelque chose d'approchant, il ne donne délibérément aucune date, mais on voit bien qu'on n'est pas loin dans le futur), quand ils enquêtent sur des organisations criminelles surpuissantes, violentes et infiltrées, ils se promènent chacun de son côté ou par petits groupes. Ils ne prennent pas la peine de tenir leurs collègues informés lorsqu'ils se jettent dans la gueule du loup, la première fois. La seconde fois, sans doute en raison de la catastrophe que la première fois a été, ils l'envisagent brièvement ; puis ils se disent "naaan, trop facile". Oh ! il y a aussi le petit con de richard, qui se fait complice de viol aggravé, vers le début du livre, envers la femme qu'il est censé aimer, qui plus est. Oui, je sais, c'est un coup dur pour lui, mais rassurez-vous, il ne l'a pas trop, trop mal vécu, tout de même ; je vais même vous dire, quelques temps plus tard, après l'avoir larguée, faite chanter pour qu'elle ne porte pas plainte, baisée en bouche-trou à l'occasion puis, enfin, oubliée en tombant amoureux d'une autre... il ne lui en voudra même plus, à sa victime !

Ensuite, je pourrais aussi approfondir l'histoire, les éléments qui la constituent et les myriades d'invraisemblances et de coïncidences Ennisiennes qui relient laborieusement ces éléments entre eux, mais en ai-je vraiment envie ou même besoin ? Ceci est une merde. Ne l'achetez pas, ne la lisez pas et n'encouragez pas M. Bordage à continuer à "écrire". Fin de citation.
LegendMaker
2
Écrit par

Créée

le 13 juin 2012

Critique lue 329 fois

2 j'aime

2 commentaires

LegendMaker

Écrit par

Critique lue 329 fois

2
2

D'autres avis sur Porteurs d'âmes

Porteurs d'âmes
Nelfe-et-MrK
8

Quand Bordage s'essaye au thriller...

J'ai été surprise de découvrir Bordage dans le genre thriller. Je n'avais lu jusqu'alors que "Abzalon" (excellent d'ailleurs) et je sais que la SF est son genre de prédilection. Ici, on ne s'en...

le 1 juin 2012

2 j'aime

Porteurs d'âmes
Apha
8

Le bestiaire de Léonie

Lauréat du prix Cezam en 2008 (pour en savoir plus), Pierre Bordage s'est déplacé pour rencontrer ses lecteurs là où je travaille. Manque de bol, je suis arrivée en 2010, j'ai ainsi loupé cette...

Par

le 9 nov. 2015

1 j'aime

1

Du même critique

Buried
LegendMaker
2

Dumbass is Buried (Titre complet)

Je ne vais pas m'étendre sur ce que beaucoup ont déjà observé dans leurs critiques : bonne idée, aurait mieux marché en court/moyen métrage, la scène du serpent WTF etc. Non, je vais m'étendre sur ce...

le 8 avr. 2011

39 j'aime

5

Le Hérisson
LegendMaker
1

Arrêtez de nous pondre de telles merdes pour les subventions !

La gamine joue plus mal que les pires "acteurs" d'AB Productions. Je pense objectivement que certaines actrices porno doivent être largement plus crédibles qu'elle. Ceux qui disent le contraire sont...

le 12 juin 2012

12 j'aime

9

Hannibal
LegendMaker
2

Prétentieux, Pauvre, Pompé et Pathétique

Tout d'abord, précisons que le titre de la série induit profondément en erreur le spectateur : Hannibal Lecter est, au mieux, un personnage secondaire dans cette série. Il eut été plus honnête (mais...

le 28 févr. 2014

4 j'aime

2