Je savais qu'il y aurait des larmes.
Je le savais avant même d'ouvrir le livre. Parce que c'est miracle que les pages de Musiques de la Frontière, précédent opus dans le même univers, n'en soient pas toutes gondolées sur mes étagères. Parce que les œuvres de Léa Silhol me touchent toujours ainsi, comme une gosse, ou une moins gosse frappée par la grâce. Parce que c'est ça, ouvrir ces livres (en particulier ceux liés au plus bouleversant univers de fantasy urbaine qu'il m'ait été donné d'explorer, et plus : d'adopter pour patrie idéale) — s'ouvrir à Frontier : c'est ouvrir son cœur (ou n'en pas avoir). Se casser en deux et recoller les morceaux de son puzzle... en mieux.
Je savais, alors, qu'il y aurait des larmes. Les retrouvailles avec la belle tribu des fays le valent bien. Et tout autant l'horreur crucifiante du monde des hommes, qui vaut bien, lui, en prime, ces dents serrées et cette soudaine envie de cogner, cette révolte contre le racisme, la lâcheté des actes commis contre les enfants ou les animaux, la haine de l'Autre cristallisée en rejet des êtres de Féerie soudain réapparus au sein des cités et des familles. Mais je ne pensais pas que ces émotions seraient traversées, souvent en simultané, de tant de rires, francs et fous. Pour l'humour résilient des fays, pour les métaphores 'à la Fallen' (pendant de ces "mathématiques à la Fallen" par lesquelles le guerrier fay calcule l'addition à faire payer aux monstres en rétribution de leurs actes), pour les tirs d'élite d'Anis dans les joutes verbales, et les yesss féroces qu'inspire son partenaire de danse, Jay. Pour la fraternité, et les sourires qu'elle tire en tous temps.
Mon avis est que ce récit de cheminement à vif, vers soi et vers l'Autre, par la pesée de ses principes et la décantation des identités, à travers la guerre, l'insécurité, les illusions à la Disney... ce récit est une merveilleuse réponse aux absurdités et atrocités de notre monde, et un feu superbe par où passer nos humaines faiblesses. Du grand Art — avec majuscule, style, et cœur.