Critique de Pour tout l'or des mots par Solal
On n'a jamais fini de piocher quelques bons mots dans ce bouquin! A lire et à offrir!
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le 13 févr. 2011
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Cela fait cinq mois que je n’ai pas publié d’avis lecture, pourtant je n’ai jamais arrêté de lire. L’explication est simple : je lisais ce monstre de 1 066 pages, rempli de jeux sur les mots et de centaines de textes littéraires et autres poèmes sur lesquels on ne saurait faire glisser son regard trop vite.
Le livre, conçu comme un dictionnaire, est en fait la compilation de deux autres : Au bonheur des mots (1989) et Des mots et merveilles (1994), qui se font suite dans l’idée d’explorer les curiosités de la littérature et les glissements dans l’usage des mots au fil des siècles.
Si j’ai mis une cinquantaine d’heures à venir à bout de Pour tout l’or des mots, ce n’est pas tant que je suis un lecteur affreusement lent que pour la densité de l’ouvrage. Imaginez-vous, à chaque page, rencontrer un bon mot, une citation, un poème, une référence à une culture si vaste que vous ne pouvez pas être familier de tout (littérature, télévision, histoire…).
C’est une lecture qui se réfléchit ; quand le texte est léger et qu’il vient « seulement » de l’auteur du livre, il faut encore faire attention de ne pas trébucher sur un guillemet et le jeu de mots qu’il cache, et même les portraits de personnalités (de Tristan Bernard à Oscar Wilde en passant par Sacha Guitry et Jules Renard – puisque c’est en ordre alphabétique) sont tellement pleins de savoir qu’on doit passer le temps nécessaire à s’en nourrir le cerveau.
Pensé comme un dictionnaire, le livre est effectivement divisé en entrées plus qu’en chapitres, de A à & (puisque la fantaisie le pousse même à tirer son chapeau – ou plutôt son épilogue ! – à l’ancien alphabet français qui comptait l’esperluette après le Z). Mais chaque entrée est si fournie que cela ne dérange à aucun moment, sinon par la déprimante constatation que la progression est lente. Tristesse aussitôt soignée par le replongement entre ses pages.
Partant tous azimuths, de droite à gauche, d’amont en aval, d’ubac en adret, c’est un bouquin instructif et fascinant, addictif même, dont la longueur est la courageuse protection contre la discrimination des genres et des personnes, même si l’on a conscience que son millier de pages ne fait que gratter des surfaces, et que son écriture en français le condamne à ne parler – presque – que de la langue française.
En cinq mois, j’ai appris par cœur mon poème préféré par Emmanuel Arago, enregistré accidentellement un quatrain cramoisissant de Verlaine, et acquis énormément de références à des auteurs que j’ignorais : je me suis découvert chez Mallarmé, n’ai pas détesté Boileau, ai écarquillé les yeux devant les paradoxes de Voltaire et les fantaisies d’Hugo, bref, j’ai dévoré et personne ne saurait honnêtement prétendre que le livre ne lui apprît pas grand chose.
J’ai eu plus de mal avec le ton, peut-être du fait que la compilation démonte et remonte le texte inattendument tout en le rendant anachronique. Se voulant cynique, il est souvent amer ; se voulant léger, il est souvent désinvolte. Il court au-devant de paradoxes qui s’étendent au-delà de sa volonté d’être drôle : l’auteur attaque l’Académie puis les barbarismes, improvise parfois des poèmes « sans prétention » tandis qu’il juge largement tous les artistes qu’il mentionne.
Il faut accepter qu’il pontifiât sur une langue française qui a, paraît-il, « le privilège de l’esprit parmi toutes les langues du mondes », et son pays celui d’une Poste conciliante, alors qu’il se gargarise pendant plusieurs pages de contrepets autour des mots « bite » et « pute ». Il faut tolérer qu’il qualifiât le calembour d’affreux et l’à-peu-près de désolant avant de s’extasier devant le jeu des faire-parts et ses « Ivan Delabibine », né à « Tienswlachristophe » – au moins ne pourra-t-il pas m’en vouloir si j’approxime par défaut de me souvenir exactement de la chose.
Bref, l’auteur refuse de décider d’être juge ou non, mais ne s’embête pourtant pas pour juger.
Heureusement que l’immense bibliographie, et la place si grande que prennent les références aux auteurs en fin d’ouvrage, participent à crédibiliser quelque flemmardise dans la transcription. Je veux bien concéder le chipotage dans la dénonciation des mots « hayir » et « naj » (qui devraient être orthographiés « hayır » et « nej » pour vouloir vraiment dire « non » en turc et en suédois) ou du « ya » allemand (qui devrait être « ja »), mais pour selon que le sous-titre promet le « bonheur » de mots, je ne suis pas sûr qu’ils soient contents d’être écharpés ainsi.
En-dehors de quelques coquilles plus drôles que graves, les langues étrangères souffrent beaucoup, surtout l’anglais, tour à tour encoquillé ou mal traduit. Ce sont ces signes, et la prétention immense et affreuse prétendant que l’esprit est un trait spécifique au français (entre autres balivernes que ma mémoire a censurées), qui font du livre de Gagnière un monstre de chauvinisme autant qu’une perle en compilation littéraire. Un défaut qui, à l’inverse de la représentation de l’informatique ou de la pénétration du français par le vocabulaire anglais, ne sera jamais corrigé par les changements de mœurs.
Conclusion : drôle, riche, instructif et addictif, ce livre doit être lu, ne serait-ce que pour la culture qu’il renferme et transmet avec esprit. Mais c’est aussi une invitation à ne considérer l’auteur que tel un humble compilateur, particulièrement criticable dans son idée de la place du français, et dans son esprit de clocher indécrottable.
Créée
le 10 avr. 2019
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