Il aura fallu attendre une quinzaine d’années pour que ce livre d’entretiens avec Poutine – auquel tous ses biographes, les plus favorables comme les plus hostiles, se réfèrent comme à une source essentielle – paraisse enfin en français. Fruit d’une série de rencontres avec trois journalistes russes au moment de la campagne présidentielle de 2000, alors que Poutine est président par intérim de la Fédération de Russie, Première personne permet de revenir sur son itinéraire en s’appuyant sur ses souvenirs ainsi que sur de nombreux témoignages de ses proches.
Petit-fils d’un cuisinier de Lénine, le jeune Poutine se qualifie lui-même de « petite canaille » et n’échappe à la délinquance que grâce à sa passion pour le judo. « On pouvait me considérer, sans exagération, comme un produit réussi de l’éducation patriotique de l’homme soviétique. » Ayant opté pour des études de droit dans le seul but de se faire démarcher par le KGB, il s’oriente vers une carrière dans le renseignement qui l’emmène à Dresde pour épauler la Stasi. Ce n’est qu’après la chute de l’URSS qu’il se rapproche des milieux politiques, devenant à Saint Petersbourg l’assistant du haut magistrat Anatoli Sobtchak avant de réintégrer ce qui est devenu le FSB et de travailler dans l’administration présidentielle. « Nous allons tout faire pour rester là où nous nous trouvons, géographiquement et moralement. » – ainsi résume-t-il son programme.
De l’enfant qui jouait de l’accordéon et chassait les rats dans les couloirs de l’immeuble à l’homme d’Etat qui voit dans la résolution du problème tchétchène sa mission fondatrice, on suit le parcours d’un homme dont le vécu ne se résume pas à l’austérité spartiate du KGB : entre les bagarres de rue avec des élèves karatékas, les virées entre amis en Crimée, les enquêtes dans les maisons de tolérance de Hambourg et les moments de complicité avec Kissinger, c’est un pan d’ombre qui se soulève sur le visage d’un des chefs d’Etat les plus énigmatiques du monde contemporain.