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  1. Le jour du second tour de l’élection présidentielle, un clochard est assassiné sous l’œil de HyperOpsis, le système omniscient (mais pas encore omnipotent) de vidéosurveillance hexagonal. Dépêché sur le lieu du crime, Louran arrête le meurtrier. Les mains dans les poches de son long parka, l’air narquois, celui-ci toise le policier et le crispe d’entrée par sa désinvolture. Tout semble trop théâtral. La mise en scène de l’assassinat, l’absence de résistance du meurtrier… Louran n’est pas tranquille. Emmené au poste, le tueur avoue tout et plus encore. Il s’appelle Mornau. Il parle de son enfance, de ses motivations intimes, de son cheminement au sein du Franc, parti du candidat en tête des sondages pour l’élection. Et les aveux se muent en confession sur fond de résultat électoral.


Bonne nouvelle pour l’amateur de roman noir. Avec L’Honorable société, quatre mains conjuguant les talents de Dominique Manotti & DOA, et Préparer l’enfer de Thierry Di Rollo, la collection « Série noire » réinvestit un genre, longtemps délaissé au profit des sirènes du thriller plan-plan. Coïncidence ou synchronicité, les deux livres auscultent le cadavre pourrissant de notre démocratie, proposant une lecture salutaire, mais sans concession, des mœurs et pratiques contemporaines.


Même si Préparer l’enfer conjugue les ressorts du roman noir et de l’anticipation, l’atmosphère semble procéder davantage du premier genre. Au-delà des querelles de chapelle, ce roman court, âpre, à la narration sèche, quasi comportementaliste, adresse comme un avertissement. En effet, nul ne peut ignorer que le malaise est patent en France, un constat concernant la démocratie en général. Un mal diffus, insidieux, gangrenant les mentalités, les solidarités, le bien commun.


Spéculant sur les symptômes actuels, l’auteur français élabore un concept troublant de vraisemblance, celui de démocratie ajustée. Un concept résumé ainsi par Mornau : « réduire les libertés progressivement et, en même temps, ne jamais compromettre l’esprit de contestation, le laisser vivre pleinement. Les masses laborieuses, ou plutôt ce qu’il en reste, continuent de protester, de réclamer le maintien de leurs droits, sans se rendre compte un seul instant que ces mêmes droits s’amenuisent par petites touches, à la faveur de réformes a priori indépendantes, mais finalement conjuguées. Réduire la liberté, donner l’illusion qu’elle est intacte parce qu’on peut encore se battre pour la conserver, lier ce bouillonnement social avec la coercition et la culture de la peur. Et la paranoïa sécuritaire. Vous comprenez ? »


On ne sait si Thierry Di Rollo a lu Christian Salmont, Edward Bernays et Noam Chomsky, ou s’il est juste un observateur avisé du quotidien. Son concept apparaît comme une synthèse du storytelling et des techniques de manipulation de l’opinion publique. En somme, fabriquer du consentement pour mieux éroder les libertés démocratiques. Sur ce point, même si elle use de l’artifice de l’anticipation, cette politique-fiction s’inscrit aussi dans le meilleur de la tradition du roman à thèse.


Préparer l’enfer propose un point de vue amoral. Le narrateur n’est pas le policier ou le privé désabusé habituel qui entend réparer un tort, tout en sachant qu’il ne changera pas la face du monde. On suit le cheminement de Mornau, un tueur sans état d’âme. Un pauvre type, parfaite image de la banalité du mal, devenu première gâchette du Franc grâce aux circonstances et à un goût certain pour le meurtre.


Di Rollo dépouille son style : phrases courtes, recherche du mot juste, violence dénué d’outrance. Il échafaude un dispositif narratif elliptique, alternant les allers-retours entre le passé et le présent. L’itinéraire de Mornau apparaît autant comme un voyage au cœur de la psyché d’un homme dénué d’affect qu’une plongée au sein d’une société malade, déboussolée, prête à se donner au premier personnage providentiel venu.


Comme dans tout bon roman noir qui se respecte, Préparer l’enfer évite l’écueil du militantisme. Le propos de Thierry Di Rollo se veut politique, dans la meilleure acception du terme. Point de jugement à l’emporte-pièce ou de dogmatisme à la petite semaine. L’auteur français confirme juste que le roman noir donne son meilleur en temps de crise.


En refermant Préparer l’enfer, on se remémore la célèbre phrase de 1984 que George Orwell met dans la bouche de O’Brien : « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. » En 2022, le totalitarisme est intégré, partie prenante d’une peur auto-entretenue, se passant d’un outil de terreur. Spéculation alarmiste nous dira-t-on ? Fiction fumeuse et pessimiste ? Histoire de mettre tout le monde d’accord, Thierry Di Rollo rappelle juste une évidence : l’enfer commence ici et maintenant. Il bouscule les routines et loin de livrer un roman complètement désabusé, il donne envie de s’insurger et non de s’indigner. De dire non, et après de boire un coup parce c’est dur.


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leleul
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le 5 oct. 2016

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