Présenté comme la prière de remerciement finale des protagonistes de « L’Ogdoade et l’Ennéade », ce bref texte a peut-être d’autres points d’insertion dans la littérature gnostico-hermétique, mais sa localisation dans les manuscrits brouille un peu l’interprétation.
Nous vivons dans une civilisation qui a rejeté depuis longtemps la notion d’ « action de grâces », ressentie comme l’épanchement émotionnel illusoire de sectateurs mystiques qui parlent au vide en s’imaginant qu’il y a un Dieu pour les écouter.
En fait, l’action de grâces s’insère parfaitement dans l’effort gnostique de réintégrer l’Homme dans l’Intellect Divin : elle vient après que l’on ait eu l’expérience de cet Intellect, et demande que l’initié ne puisse plus retomber à un niveau inférieur : « nous voulons être préservés dans la gnose ». Perpétuer l’illumination silencieuse, en somme. Il y a de la suite dans les idées.
D’autant plus de suite que cette notion de « seuil franchi » fait défaut au christianisme, et ne compte pas pour rien dans son délitement actuel : avez-vous remarqué que, quelles que soient les vertus affirmées et vécues par le fidèle chrétien, aucun indice, aucun marqueur, aucune pierre de touche ne vient le renseigner sur son niveau d’élévation spirituelle ? Le chrétien le plus pécheur et le plus médiocre reste exactement dans la même ignorance sur sa propre valeur spirituelle que le saint le plus élevé dans l’héroïsme. Aucun moyen de savoir si Dieu est content de vous ou pas. Le martyr chrétien, outrepassant toute abnégation envisageable, qui va se livrer aux nazis à Auschwitz pour sauver la vie d’un de ses frères, est rongé par le même doute que le pseudo-chrétien exténué de vices et d’égoïsme. On va se confesser, et se reconfesser, on récite perpétuellement les mêmes prières, usées jusqu’à la trame à force de ne correspondre à aucune expérience personnelle vécue, prières toujours suggérées par les autres, par le canon liturgique, ou par l’interminable répétition cyclique annuelle des « dimanches ordinaires » (qui retombent toujours dans les mêmes ornières des mêmes textes à commenter, sans qu’aucun sang frais tiré de l’expérience du fidèle ne vienne secouer un peu l’accablante répétition des mêmes sermons, des mêmes murmures, des mêmes cantiques). ..
Ce texte pose une intéressante hiérarchie dans le cheminement de l’initié : la gnose n’est, en fait, que la motivation première qui met sur la voie de Dieu ; le « discours » sert à représenter et à communiquer ce que l’on perçoit de Dieu ; mais la véritable expérience gnostique, c’est l’Intellect, qui seul permet de concevoir Dieu en abandonnant les conventions du langage et du bruit humains.
En conclusion du texte, on s’étonnera peut-être de constater que Dieu n’échappe pas davantage à la sexualisation que ne le ferait quelque Dieu païen, tel qu’il en pullule dans les religions antiques : « Ô matrice de toute semence, nous t’avons connue ! Ô matrice fécondée par la génération du Père, nous t’avons connue ! Ô durée perpétuelle du Père qui enfante ! ». Si vous lisez bien, Dieu est à la fois mâle et femelle, et se féconde lui-même.
Les derniers versets disent assez clairement que cette prière était suivie d’un don de baiser mutuel dans la communauté, ainsi que par des agapes communes : « [ils] allèrent manger leur nourriture qui était pure et ne contenait pas de sang. »
Si Dieu est « matrice de toute semence », donc en partie femelle et assujetti aux menstrues (même divines...), on pourrait se demander en quoi le sang est considéré comme impur...
khorsabad
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le 13 janv. 2017

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