Emigration ou intégration ?
On avait rencontré l'auteur coréen Hwang Sok-yong avec le si remarquable Vieux jardin (adapté au cinéma), et nous voici de nouveau en Corée avec cette Princesse Bari.
Là-bas, la Princesse Bari est une figure de légende dont le nom signifie abandonnée.
Dans les années 80, au nord du pays, la famille de Bari voit naître une septième fille : autant dire une catastrophe alors qu'on espérait enfin un garçon pour subvenir aux besoins de la famille. Avant même le retour du père, la mère abandonne cette fille de trop. Ce sont la grand-mère et le chien qui prendront soin de cette abandonnée et la baptiseront Bari tout comme dans le conte traditionnel.
Quelques années plus tard, le pays est décimé par la grande famine des années 90 (plusieurs millions de morts !). Intempéries et incurie du régime en sont à l'origine. Comme tant d'autres, la famille de Bari sera broyée et dévastée par ces terribles évènements : la jeune fille réussira à passer le fleuve-frontière avec la Chine (le Tumen). Après quelques périlleuses aventures, Bari prendra un bateau (à moitié de gré, à moitié de force) et débarquera en Angleterre où de nouvelles péripéties l'attendront comme tous les boat-people qui l'accompagnent.
Avouons tout de suite une forte déception après le Vieux jardin : on n'a pas vraiment accroché à cette (habile) transposition moderne du contre traditionnel. Malgré la richesse et la maîtrise du style poétique de Hwang Sok-yong, l'écriture façon "contes et légendes" ne nous a pas emballés.
D'autant que Bari est à moitié chamane (ou sorcière, comme on veut) et parvient à “voir” les morts et les traumatismes qui font l'histoire de ceux qu'elle croise : le début du livre est sur ce plan tout à fait intéressant et maîtrisé, tout à fait dans la manière de l'italien Maurizio de Giovanni avec son commissaire Ricciardi. Mais peu à peu, les rêves et les visions de Bari prennent de plus en plus de place et on finit par lire ces passages en diagonale.
Il reste toutefois deux aspects particulièrement intéressants dans ce roman.
La première partie du livre tout d'abord qui met en scène cette famille nord-coréenne pendant ces évènements terribles : il est rare que nous soit donnée l'occasion de découvrir ce pays, sans concession mais sans polémique politique, comme de l'intérieur. C'est passionnant et, avec Bari, on passe facilement le fleuve-frontière dans un sens ou dans l'autre, à gué.
Avec quelques images typiquement coréennes, bien loin de nous :
[…] La grand-mère et la femme du fermier me tournaient le dos pour dissimuler leurs larmes.
[…] Le monde change, comme tu le vois : dès que l’électricité et l’argent arrivent, les gens perdent toute humanité.
Plus tard dans le roman, on sera également très intéressé par la description du petit monde des immigrants londoniens : asiatiques de différents pays (coréens, chinois, vietnamiens, ...) qui cohabitent avec des pakistanais ou des africains. Langues, couleurs, nationalités, cuisines, croyances, coutumes et religions se mélangent à qui mieux mieux. Melting-pot britannique.
[…] Je voyais des peaux jaunes, des grises, des noires, même quelquefois des blanches … non pas d’Anglais mais de travailleurs d’origine polonaise ou tchèque engagés sur les chantiers de construction.
Mais la description est presque trop idyllique : on en vient à soupçonner un Hwank Sok-yong vieillissant de vouloir réconcilier la terre entière et nous vendre à tout prix du bon sentiment.
Au point qu'on trouve un peu dérangeant qu'il abandonne en chemin, sans regret, sans mansuétude ni empathie, celles ou ceux qui n'ont eu ni la chance, ni la force, de garder la tête hors de l'eau et qui ont succombé dans l'aventure. Une prostituée droguée, ça ferait désordre aux côtés de la jeune et jolie Bari, emblème de l'émigration douloureuse mais assumée, symbole de l'intégration difficile mais réussie ?
Voilà de quoi plomber sérieusement la seconde partie de cette histoire trop moralisatrice et trop imprégnée de bons sentiments pour qu'on y adhère vraiment. Dommage.