Des textes de 1935 et 1965 encore d'actualité. Piaget se fait l'avocat d'une pédagogie fondée sur la psychologie expérimentale.
La psychologie expérimentale nous apprend que l'enfant n'est pas qu'un petit adulte à qui il manque des connaissances, mais que son esprit a une structure et des concepts spécifiques. Par conséquent, la pédagogie classique, fondée sur la seule transmission, n'est pas optimale.
L'intelligence se forme d'abord au contact des choses, à partir du corps et de son interaction sensori-motrice avec les objets. L'esprit est d'abord pratique, et ce n'est que dans un second temps que se forme, par réflexion, l'intelligence théorique. Si l'on veut comprendre, il faut commencer par faire, par transformer, par agir. Il faut donc être intéressé. Une pédagogie qui ne se servirait pas de l'intérêt est vouée à l'échec.
La vie sociale de l'enfant joue un rôle majeur également dans le développement de l'intelligence. C'est par elle que l'enfant pratique, et donc apprend, le langage, fondement de la communication, et la réciprocité, fondement de la morale. La coopération enseigne l'utilité des règles, de la clarté, de l'objectivité. Elle arrache l'enfant à son égocentrisme initial.
Par conséquent, il faut connaître les stades de développement de l'esprit, puisque "toute nourriture intellectuelle n'est pas bonne indifféremment à tous les âges" (p. 234) : la pédagogie doit s'assurer que les contenus d'apprentissage soient adaptés au stade auquel l'enfant se trouve. C'est la raison pour laquelle l'enseignement primaire est autrement plus difficile que l'enseignement secondaire (et que l'enseignement tertiaire, a fortiori).
Mais on ignore encore beaucoup de choses. La question de l'utilité de l'enseignement du latin et du grec, par exemple, est une question qui ne dispose toujours pas de réponse expérimentale. Il reste encore beaucoup de travail.
Idéalement, ce travail devrait être mené par les enseignants eux-mêmes, qui devraient être formés à la recherche.
On débouche ici sur l'idée sans doute la plus frappante de l'ouvrage, qui affirme que "le problème de la formation des maîtres constitue le problème clef dont la solution commande celle de toutes les questions examinées jusqu'ici" (p. 170).
Pour Piaget, si l'enseignant est déconsidéré - en 1965, mais évidemment, cela vaut encore plus aujourd'hui, en 2024 -, c'est, certes, en raison de sa rémunération, mais c'est aussi parce que, contrairement au médecin ou à l'avocat, sa pratique ne s'adosse pas encore à une science. Il n'est considéré que comme un simple passeur, un récipient qui déverse son contenu dans un autre récipient, sans que cette transmission ne fasse l'objet d'un savoir spécifique.
Il faut que cela change. L'enseignant doit être formé à la psychologie, il doit être formé à la recherche, car, "en un mot, c'est dans et par la recherche que le métier de maître cesse d'être un simple métier et dépasse même le niveau d'une vocation affective pour acquérir la dignité de toute profession relevant à la fois de l'art et de la science" (p. 177).
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Certes, la pédagogie, et notamment celle de la petite enfance, a progressé depuis 1965. Cependant, la formation des enseignants demeure, encore aujourd'hui en France, très éloignée de la science expérimentale pédagogique. L'agrégation, censée produire les enseignants les plus compétents, ne mesure en réalité "que" la compétence de l'individu dans un domaine disciplinaire donné, sans s'intéresser le moins du monde à sa compétence en matière de psychologie et de pédagogie. Ces dernières - à rebours de siècles de progrès laborieusement réalisés - se trouvent reléguées au rang d'évidences, accessibles à tout individu doué de bon sens.
Il y a encore du chemin à faire.