Thomas Cantaloube est journaliste et reporter, pour Mediapart notamment.
Requiem pour une république est son premier roman qui nous plonge au tout début des années 60 (on sent le plaisir de l’auteur, né en 1971, à reconstituer la France de ces années-là) dans un pays aux prises avec les revendications algériennes, un pays verrouillé par la poigne du pouvoir gaulliste où se côtoient les anciens résistants comme les anciens collabos.
Ce sont les années qui verront la naissance jumelée de l’OAS (l’attentat du Paris-Strasbourg en 1961) et du SAC (la milice du Général).



[...] J'étais à Évian, où les mecs de l'OAS ont buté le maire de la ville. Je leur ai fourni les armes et les explosifs.



[...] Qu'est-ce que tu fous avec ces gonzes de l'OAS ? Tu adhères à leur cause ?

— Ça te choque ?



[...] Ce qui me plaît chez l'OAS, c'est leur détermination à foutre ce gouvernement par terre.



Au fil des pages, on croisera le préfet Papon (qui ne sera rattrapé par son passé qu’à la fin des années … 80) et bien d’autres collabos recyclés comme Tino Rossi et la mafia corse.



[…] Maurice Papon. Une ordure de premier rang. Ce type a été un collabo durant la guerre. Pas n'importe lequel. Un Secrétaire général de Préfecture, à Bordeaux. Il a du sang sur les mains et sous les bottes.



D'autres acteurs aussi comme un certain Le Pen, Alain Delon et même un François Mitterrand alors en disgrâce (le faux attentat de l’Observatoire) et qui attend son heure, l’heure d’être à son tour l’un des tontons de la république.
Une république sans majuscule.



[...] Jusqu'à leur prochain retournement de veste. La police de la République téléguidait des milices sanglantes de bas étage. L'armée et certains de ses plus hauts gradés étaient à deux doigts de se retourner contre un des leurs devenu président. Une chatte n'y aurait pas retrouvé ses petits. Sirius adorait. Le grand bazar.



[…] — La raison d'État.

— Qu'est-ce que tu racontes ?
— On apprend ça lorsqu'on fait des études de droit. C'est quand, au nom d'intérêts
supérieurs, des gouvernants s'autorisent à violer les règles de l'État de droit. Quand le Préfet de police de Paris assassine des innocents dans leur cuisine, ou en pleine rue, avec l'accord du gouvernement, au nom de l'intérêt de la Nation.

— Tu deviens cynique.



L'écriture est simple, directe et sans grandes fioritures. En dépit de quelques longueurs (Cantaloube flâne et déambule dans les rues du Paris des années 60), le plaisir de lecture est garanti par une Histoire qui se suffit à elle-même.
On est donc très proche des bouquins de Romain Slocombe (la série des Sadorski) : ambiance délétère, fréquentations douteuses, personnages peu sympathiques, racisme débridé, rencontres de figures historiques (vues de dos), … les deux auteurs nous font visiter l’envers du décor et les coulisses cradingues d’une Histoire peu reluisante.
Celle des compromissions et des opportunistes.



[…] J'obéis aux ordres. Surtout quand ils viennent d'aussi haut. Ce ne sera pas ma première affaire classée. Ni la dernière. Si tu veux durer dans ce métier, fiston, faut l'accepter. La raison d'État a ses raisons que nous, ses pauvres serviteurs, ignorons…



On se dit qu’à cette époque glorieuse, après les années de guerres et avant celles des crises économiques à répétition, nos parents prospéraient à qui mieux mieux et fermaient les yeux sur les agissements des politiques.
Un petit manuel d’histoire contemporaine.
Très contemporaine parce que si l'on sent l'auteur (et nous lecteurs) passionné(s) par cette visite de notre passé tout récent, on comprend tout aussi bien que Cantaloube pointe là de sa plume l'accouchement mortifère de notre Cinquième République et la naissance d'un OGM un peu monstrueux.



[...] La IVe République était née sur les cendres du pétainisme et des combats de la Résistance, la Ve démarrait sur les cadavres des Algériens et les remugles d'un fascisme en képi.


BMR
7
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le 16 mars 2019

Critique lue 352 fois

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