Les malades en parlant imitent le coax des grenouilles

Je ne sais comment qualifier ce livre.
Tout d'abord, et c'est une consolation à mes yeux, le roman pèse plus que la biographie dans la balance.
Son sujet serait Romain Gary, c'est même son titre. Ayant lu Romain Gary, il faut se pincer le bras pour y croire, on n'y retrouve rien de ce qui fait Romain Gary, on ne retrouve pas ce qui nous fait l'aimer. Ce titre indique bien la maladresse globale du récit, il me semble qu'il y a eu confusion entre Roman Kacew, le personnage décrit par Seksik, et notre Gary, l'auteur des incomparables, admirables, éternels La Promesse de l'aube, les Cerfs-Volants, Lady L, les Racines du ciel, Éducation Européenne... Et même pire, je redoute que l'auteur ne se soit immiscé dans cette pseudo biographie romancée, je crains qu'elle ne vire parfois, c'est navrant, à l'autobiographie.
Concernant la langue, quelle surprise ! Comment ?! Cet homme a, notamment, reçu le Prix Littré ?! J'espère que son Romain Gary s'en-va-t-en guerre est un échantillon très mauvais de son talent d'écrivain ; à de nombreuses reprises les phrases m'ont paru lourdes, creuses, mièvres. Elles ne tombent pas juste. Je n'ai ressenti AUCUNE émotion, de tout le livre. Quelle déception.
Il me paraît quasi évident que Seksik a rédigé ce récit dans la douleur de perdre son propre père sur le point de mourir, en panique, terrorisé et tétanisé à l'idée de la disparition de l'homme de sa vie. Dans sa vie à lui, Seksik, la figure paternelle semble fondamentale (il suffit de jeter un œil ici ou )... Mais ce n'est pas le cas dans celle de Romain Gary.
Il m'a paru que Seksik a désiré honorer un père, l’encenser, lui offrir une place qui n'existe pas dans l’œuvre de notre Gary, cela au détriment de la mère, ridiculisée, caricaturée, dégradée, dénigrée. Où est passée la Mina merveilleuse et triomphale de la Promesse de l'aube ? Où sont passés les rêves, la magie, la poésie de Romain Gary ? Seksik détruit, démolit, abat notre Gary dans ce roman, sans humour, avec bassesse, froideur et niaiserie. Les chapitres sont tous plus ternes les uns que les autres, je n'ai pris aucun plaisir à lire ces enchaînements grisâtres de phrases sans émotion. On pourra évoquer un souci de vérité, le désir de la rétablir, d'éclairer différemment la vie du grand homme... Visiblement toute vérité n'est pas bonne à dire, ou bien faut-il le faire avec sagacité, discernement, esprit, perception, élégance, habilité.


En rédigeant cette page, je savais d'avance ne pouvoir ni maîtriser entièrement mes émotions ni contrôler tout à fait la situation. Il s'agit de Romain Gary dans ce roman de Laurent Seksik. Romain Gary.
Adolescente, j'écoutais sans discontinuer le groupe de musique AFI (eye éfe aïe en anglais ; ici, Miseria Cantare/The Leaving Song pt. 2 en concert.) Présenté comme ça, le rapport avec Romain Gary n'est pas forcément évident - même si en tendant bien l'oreille une certaine forme de lyrisme est perceptible chez l'un, comme chez l'autre - mais si, il existe. Il est éternel, ce lien : c'est l'amour. L'amour dévot d'une ado, une adoration, un culte, une vénération de ceux qui parviennent à exprimer l'inexprimable ressenti par une pauvre mortelle. Le quidam naïf qui imaginerait pouvoir manifester son opinion ou sa théorie sur le sujet s'expose à un courroux impétueux et enragé, quand bien même parfois, l'olibrius pourrait ne pas foncièrement se tromper. Avec le recul, il est par exemple recevable que les paroles d'AFI ne soient pas précisément chantées. Aujourd'hui, ma passion est dévolue à Romain Gary et, de même, j'accepte peut-être difficilement certaines idées qui profaneraient le mythe Romain Gary.
Toutefois, afin d'appuyer mes sentiments sur ce livre, j'ai relevé quelques passages qui me semblent pertinents et témoignent que je ne suis pas totalement dépourvue d'objectivité.


• Avant tout, lire l'épigraphe indique clairement le parti pris par l'auteur. Quatre mots pour sa mère, plus de cent pour son père.


• Ensuite, dès les premières pages, Seksik fait un portrait de Nina misérabiliste, plaintif, gémissant, faible mais orgueilleuse, et plus loin soumise à l'homme, tournée en ridicule, infantilisée.



« Elle poussa un long soupir, plongea son visage entre ses mains, puis elle éclata en sanglot – quand Nina pleurait, elle semblait explorer toutes les ressources de sa mélancolie, célébrer en actes l'immensité de sa souffrance, elle pleurait comme les hommes pieux pleurent la destruction du temple de Jérusalem. » (p.15)



Quand on se souvient de l'intelligence tactique, stratégique, prévisionnelle de Mina dans la Promesse de l'aube, ses calculs, sa volonté, comment entendre ce passage de Seksik où une Nina superstitieuse remet au hasard le choix du prénom de Roman ?



« Certaine qu'elle accoucherait d'un fils, chaque fois qu'elle terminait un nouveau modèle [de chapeau], elle lui donnait un prénom de garçon, contemplait son œuvre et songeait : « Voilà Menassé, ou Yossik, ou Avner » tout en faisant tourner le chapeau autour de l'index. Un jour, elle avait dit : « Voilà Roman », le chapeau n'avait cessé de tourner, tel un danseur qui pirouette. Son fils se prénommerait Roman. » (p.40)



Nina passe pour une malade mentale, une folle, une cinglée,



« Alors, ce qu'on m'avait dit est vrai, vous êtes la plus folle et la plus effrontée des menteuses de Wilno. Allez vous faire soigner, madame. » (p.161)



une dégénérée dont Roman espère ne pas avoir reçu les gènes. Où est passé le respect, avec cet esprit clinique et disséqueur ?



« Mais le plus grand souhait de Roman serait d'être humeur égale. Il espérait de ne pas avoir pris des gènes de sa mère en la matière, redoutait d'être comme elle à son âge, dévasté de chagrin pour un verre fêlé, sautant comme une puce pour un rayon de lune. Il pouvait tout prendre d'elle, mais pas sa mélancolie, ses accès de détresse, ses folles joies soudaines. » (p.177)



Nina est ridiculisée, elle paraît aussi sotte qu'une jeune oie dans le livre de Seksik. Pourtant, elle a plus de quarante ans, est une bibliophile, a lu Tolstoï, Stendhal, Victor Hugo, Baudelaire, Balzac, Tourgueniev, Annunzio, etc. Mais non, elle est femme stupide, aux réflexions gracieuses comme celles d'une pintade.



« Les hommes me révulsent, avait-elle conclu, et les femmes ne valent pas mieux. » (p.169)



• Les dialogues sont vides, fades, insipides.



« Que peut-il bien nous arriver? »
Elle n'en savait rien.
« Qui peut bien nous envahir à nouveau ? »
Elle l'ignorait.
« La Russie est ruinée par la Révolution et l'Allemagne en miettes à cause de la Grande Guerre. Nous sommes tranquilles pour cent ans. De quoi peux-tu bien avoir peur ? »
Elle avait peur, voilà tout.
« Tu as toujours eu peur de tout, Nina. »
C'était vrai. » (p.36)



Lumineux.



« - J'aimerais annoncer la nouvelle à mon fils !
- Sûr qu'il va sauter de joie ! Poursuit-elle sur le même ton d'indignation. Mais peut-être te moques-tu de faire souffrir ton garçon, peut-être que le sort de ton grand fils t'est indifférent maintenant que tu vas en avoir un petit ?
- Je veux voir Roman ! déclare-t-il froidement pour clore la discussion.
- Fais ta sale besogne, lâche-t-elle, va donc faire mourir ton fils de chagrin ! » (p.73)



¡¡¡ Pour un simulacre d'émotion, vive les points d'exclamation !!!



« - Comment vas-tu, Roman ? murmure l'homme d'une voix douce, en posant la main sur l'épaule de son fils. Tu travailles toujours aussi bien à l'école ? Je te l'ai répété cent fois, l'essentiel de la vie d'un homme doit résider dans l'étude et dans le respect de la Loi. Le reste importe peu, réussite, argent, gloire. Seul vaut de respecter les Commandements. Honorer son père et sa mère, ne pas mentir, ne pas voler...
- Ne pas commettre d'adultère ?
L'homme lâche, avec un brin d'hésitation, d'une voix un peu gênée :
- Oui bien entendu, le sixième Commandement est aussi important que les autres. Un grand amour fidèle est la vocation innée de tout être humain.
- Tu as entendu ? souffle l'enfant d'un air surpris. Derrière la porte... quelqu'un tousser ?
- Il n'y a que ta mère dans l'appartement, Roman... La crois-tu capable d'écouter aux portes ? Elle n'oserait pas faire ça.
Le père et le fils partent dans un grand éclat de rire en un instant de communion comme Roman n'en a pas vécu depuis longtemps. » (p.84)



Ouf, quelle sensibilité chez Seksik, quel sens de la vraisemblance, quelle crédibilité.... Roman rappelle à son père qu'il a trompé sa mère, a fait un enfant à son amante, et ensuite... Le fou rire ? Un instant heureux ?
C'est sordide.



« - Je t'avais annoncé (…) que je voulais être avocat, défendre les pauvres et les opprimés comme Maître Fedelman , qui était venu l'autre jour à la maison et m'avait convaincu que c'était le plus beau des métiers, même si maman préférait que je devienne artiste ou ministre de la République française.
- Tu as changé d'avis ? Demande le père, un grand sourire aux lèvres. Que veux-tu devenir?
- Devine ! réponds l'enfant sur un ton enjoué.
- Oh tu sais bien que je n'ai aucune imagination. Ta mère me l'a suffisamment reproché. Mais, fait-il après une hésitation, ça n'est pas le métier de soldat, n'est-ce pas ? Sinon, tu vas tuer ta mère avant d'avoir pu tirer une balle...
- Je ne veux pas devenir soldat, papa...
- Le métier que tu as choisi est un beau métier
- Le plus beau.
- On travaille avec son intelligence ?
- Avec sa tête et avec ses mains. C'est le plus complet des métiers.
- Médecin ?
- Pas médecin.
- On exerce ce métier dans la famille ?
- Depuis des générations.
- Il me semble que j'ai déjà une petite idée... dit l'homme en ménageant un bref suspens avant de finir par déclarer : tu veux être fourreur comme ton père ?
- Oui c'est cela, je veux être fourreur comme mon père ! » (p.85)



Hihihiihihiiiiiiii simplets de père en fils ! Et si on chantait une petite chanson, tous les deux en cœur ?!
Gary s'en va-t-en guerre, mironton, mironton, mirontaine, Gary s'en va-t-en guerre, ne sait quand reviendra !
(Pour la suite des paroles, voir sur momes.net)
A Seksik je ne reviendrai pas.


• La langue me semble malmenée, ce n'est pas agréable de lire les mots de Seksik.
« Heureux comme jamais. » (p.181) Oui c'est une phrase entière, non ce n'est pas du maître Gims.
« Nous avons remporté cette bataille et ta naissance est venue récompensé la victoire. Mais à peine étais-tu né que j'ai dû partir pour la guerre. Quand je suis revenu, je n'étais plus le même, mais la guerre m'avait changé. » (p.91)


• Heureusement que parfois, pour rendre la lecture de son livre moins pénible, Seksik sait faire preuve d'humour. Ah ? Même ça, c'est absent ?
«Cette idée, c'est le hareng ! Ne me regarde pas comme ça avec tes yeux de merlan frit ! » (p.101)



Musique



Vite, vite, quittons les sous-sols-sek-sik pour les nuages Romain Gary.


Romain Gary, je vous aime Pour La Vie, voilaa. Du vrai, du vrai, du vrai. N'écoutez pas les gens qui ne voient pas les choses comme ça. Ce sont des médisants mais ils ne nous sépareront pas. Ces sont des médisants il n'y aura personne entre vous et moi.
Romain Gary mon canard , je vous aime.
Votre grenouille mordue. Jacquadi aime.
Romain Gary, une femme veille sur vous. Nyunovi, c'est magique.


Billie Holiday, What is this thing called love(1945)
What is this thing called love?
This funny thing called love ?
Just who can solve its mystery ?
Why should it make a fool of me ?
I saw you there one wonderful day
You took my heart and threw it away
That's why I ask the Lord in Heaven above
What is this thing called love?
I saw you there one wonderful day
You took my heart and threw it away
That's why I ask the Lord in Heaven above
What is this thing called love?



Note pour toi



Je te remercie beaucoup de m'avoir offert un livre sur Romain Gary, tu sais combien je l'aime et je sais que par ton geste tu voulais me remonter le moral, me rappeler que tu me comprends et que tu es à mes côtés. Tu as fait le bon choix, ainsi j'ai pu me souvenir que Romain Gary est incomparable, inégalable, incompréhensible pour certains démystificateurs cruels, en croisade contre l'émotion et le beau dans l'espoir de porter leur Vérité au-dessus des autres, et aussi, je le pense, pour flatter l'égo des hommes, car Romain Gary, mieux que personne, n'a su rendre leur place qu'elles méritent aux femmes.
Merci, je t'embrasse très fort.
Chameli.

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le 26 mai 2017

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