Dans ce livre-entretien mené avec l’anthropologue Régis Meyran, Patrick Tort, qui a dirigé le "Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution", revient sur deux grandes thématiques : la race le sexe. Tentant de dépasser la vieille opposition entre l’inné et l’acquis et articulant conjointement la critique de la sociobiologie (et de la psychologie évolutionniste) et des sciences sociales, il rappelle que la civilisation humaine est initiée par l’évolution mais inaugurée par l’histoire, sur le mode d’une continuité intégrant les dépassements successifs des états antérieurs. L’éternelle dialectique entre nature et culture se trouve donc repensée à la lumière d’un Darwin bien compris, débarrassé des récupérations (notamment celle de Spencer et du darwinisme social) de ces « jubilateurs précoces » qui, trop souvent, le citent sans l’avoir compris. Ce Darwin antiraciste et antisexiste accorde aux valeurs morales et affectives (attribuées à la féminité) une importance supérieure aux valeurs de l’intelligence rationnelle (attribuées à la masculinité) car elles favorisent davantage le développement de la civilisation.
Tort regrette que l’antiracisme contemporain fasse dépendre la possibilité du racisme de l’existence ou de la non-existence des races, il veut « convaincre les antiracistes “médiatiquement agréés” qu’au lieu de nier l’existence et la réalité évolutive des races, il eût été, pour eux comme pour elles, plus simple, plus honorable et plus utile de les reconnaître et de les aimer ». La notion biologique de race sert simplement à définir la subdivision d’une espèce, n’en déplaise à « la conscience délicate de ceux qui sont plus sensibles aux effleurements du vocabulaire qu’aux coups de boutoir de la réalité ». Le racisme, par contre, a toujours été d’ordre idéologique et non pas scientifique : il n’est pas une affaire de nomination mais de domination.
La réflexion sur le sexe suit la même logique, « le schéma est analogue à celui de la dénégation de la réalité des différences interraciales visibles, à ceci près que celle-ci pouvait au moins s’appuyer sur quelques fragments d’argumentation biologique et que l’on n’a pas, pour la “race”, imaginé l’analogue du “genre” (celui qui est noir, mais blanc dans sa tête) ». Une analyse qui a ses limites et qui ne parvient pas toujours à éviter les raccourcis et les diabolisations qu’elle condamne mais qui brise tout de même quelques tabous en réaffirmant la primauté du discours scientifique sur le politiquement correct.