Qu’on apprécie ou non Kemi Seba, il faut bien reconnaître que c’est un personnage tout à fait atypique. Né en Alsace dans une famille bourgeoise d’origine africaine, fils d’un médecin mitterrandien, celui qui allait devenir un leader très écouté dans les banlieues françaises avant de partir s’établir au Sénégal raconte son parcours : son expérience du racisme, sa passion autodidacte pour la lecture et l’étude, sa fascination pour le militantisme des Afro-américains, son goût pour Guénon et Nietzsche, ses démêlés avec la police, la justice et certaines milices communautaires, son adhésion à la Nation of Islam (suivie d’une rupture puis d’un retour), la fondation des divers groupes successifs qu’il anime (Tribu KA, Damnés de l’Impérialisme, etc.), son séjour en prison, ses remises en question, ses relations avec des gens aussi différents que les chiites iraniens, les nationalistes français, les diplomates vénézuéliens et libyens, les indépendantistes basques, Dieudonné... Son engouement pour l’atonisme réserve quelques bonnes pages : suivant les thèses de Dillon sur l’africanité des anciens Egyptiens, il souhaite ressusciter le culte d’Aton, première religion monothéiste instituée par le pharaon Akhenaton. « L’atonisme était, dans le fond, l’islam que j’avais auparavant appris, mais avec une présentation kémite. »
Il y aurait beaucoup de critiques à faire sur ce meneur d’hommes au talent charismatique indéniable mais à l’égo démesuré et à l’orgueil épidermique, il n’en demeure pas moins que, de manière générale, son évolution idéologique semble le mener dans une direction sensiblement préférable à celle qu’il avait adoptée tout d’abord : de suprématiste noir il est devenu ethnodifférentiste, d’afrocentriste il est devenu panafricain, et il a troqué son racialisme pour une dynamique « pluriethnique, néonationaliste et tiers-mondiste ». On regrette toutefois que sa “supra-négritude” nécessite la sécession totale d’avec l’Occident et on a de la peine à le suivre dans sa défense du modèle communautariste états-unien ou dans la critique très sommaire qu’il fait de la démocratie, qu’il résume à « la domination des hommes homosexuels sur les femmes, enfants, esclaves et étrangers ». Les derniers chapitres de son livre, plus théoriques, explicitent sa vision de l’islam originel, qu’il oppose à celui prôné par l’ « arabo-mondialisme ». Il finit par un éloge de Lumumba et de Sankara – sur ça, au moins, nous sommes d’accord.