Malgré son titre hyper sérieux, ce livre est bien un roman. A vrai dire, c’est quand même un roman d’un genre particulier, car son auteur, José-Eduardo Agualusa, brode à partir de faits réels. A Luanda (Angola), Ludovica a très mal vécu l’agitation locale au moment où la population réclamait l’indépendance (1975). En effet, ce pays d’Afrique était alors une dépendance (colonie) du Portugal. De nature craintive, Ludovica (Ludo) qui vivait chez sa sœur mariée s’est repliée sur elle-même et a cessé de sortir de l’appartement où les trois vivaient confortablement. Mais, rapidement, sa sœur a décidé de rentrer au Portugal avec son mari. Restée seule dans l’appartement, avec des vivres en quantité, Ludovica a trouvé le moyen d’édifier une cloison (un mur en briques) devant la porte d’entrée de l’appartement pour en interdire l’accès. Elle s’y est si bien prise qu’un voisin, des années plus tard, en observant ce mur, se demandait ce qu’il y avait derrière et ne comprenait pas l’organisation de l’étage. En fait, il était à cent lieues d’imaginer que quelqu’un vivait dans un appartement par derrière. Ceci dit, Ludovica avait accès à l’extérieur en montant sur une terrasse et elle avait également des fenêtres lui permettant de voir dehors mais également d’être vue à l’occasion. Elle a survécu ainsi pendant plusieurs décennies, n’écoutant même plus les informations à la radio, se contentant de noter des impressions et des poèmes sur des carnets. C’est à partir de ceux-ci qu’Agualusa imagine son roman, une fiction particulièrement originale où il décrit à sa façon le parcours de cette femme, allant jusqu’à expliquer les raisons de sa psychologie si particulière.

L’auteur va plus loin, puisqu’il nous fait sentir que, bien qu’isolée et même retranchée du monde, le destin de la recluse est malgré tout lié à une belle quantité d’individus. Dans un premier temps, il nous fait sentir l’ambiance très particulière qui règne à Luanda au moment où Ludo, ne supportant plus le bruit, décide de se cloitrer. On apprend incidemment que Ludo et sa sœur sont portugaises d’origine. Mais cela ne fait qu’expliquer en partie que Ludo puisse redouter de sortir. Ensuite, l’auteur nous décrit la vie de Ludo, avec une succession d’événements qui surprennent franchement. Quelle inventivité ! Une inventivité d’autant plus remarquable que l’auteur fait dans la concision (171 pages) et qu’il procède par chapitres relativement courts dans l’ensemble pour des épisodes qui ne se succèdent pas systématiquement dans le temps, mais s’avèrent d’une incroyable diversité. C’est aussi éblouissant qu’amusant, car Agualusa en profite pour nous faire sentir la mentalité générale des Angolais, qui aiment raconter et font preuve de superstition. Ainsi, il est question d’un homme qui aurait disparu d’un instant à l’autre, en quelque sorte avalé par le sol au coin d’une rue, abandonnant au passage son chapeau qui témoigne de sa présence là un instant auparavant. L’aspect intéressant, c’est que l’auteur fait en sorte qu’on comprenne qu’il s’amuse lui-même de l’anecdote, en montrant un peu plus loin comme elle a pu s’édifier. Le roman est donc truffé de faits dans ce style qui finissent chacun par trouver sa place afin de former un tout cohérent.


Il est ainsi question d’un pigeon voyageur avec un court message accroché à une patte. Sauf que le pigeon n’atterrit pas au bon endroit et que le message devient franchement mystérieux pour celui qui le trouve et croit en être le destinataire. Et cela va plus loin car, plus tard, le pigeon qui a repris la voie des airs est capturé par quelqu’un d’autre, une personne qui le fait rôtir pour le manger et trouve dans ses restes des diamants de valeur. Que font ces diamants à cet endroit ?


Vous le saurez en lisant le livre : autre anecdote savoureuse. Autant dire que le parcours de ces diamants vaut son pesant d’or narratif et qu’il est symptomatique du contenu général du roman. Où y découvre une belle galerie de personnages, on apprend à découvrir une ambiance hors de commun et des faits qui, tout en s’enchainant très naturellement, constituent une trame inimitable. L’auteur lie entre eux des événements plutôt heureux avec d’autres plus dramatiques. Un roman d’une humanité remarquable.

Electron
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