Tokyo Sisters - Dans l'intimité des femmes japonaises.

Lorsqu'on lit la préface du livre, le travail inventorié est impressionnant 50 femmes interviewées chaque mois, 20 personnages clefs interrogées (professionnels, journalistes..), 100 lieux testés, 800 heures sur Skype etc. Il n'y a pas à dire, les chiffres sont impressionnants et avec un tel début, on s'attend à rencontrer un livre dense, chargés d'anecdotes qui nous donneront un panel sérieux de la vie des japonaises des années 2000. Une des deux autrices est journaliste diplômée de science po, l'autre travaille dans l'événementiel autour de l'art et sort de l'école du Louvre. Ça en jette. On ouvre le livre, et on plonge au cœur du Japon dans le quotidien des femmes que les deux autrices ont fréquentées, interrogées, les anecdotes passent et on apprend plein de petits détails sur les lectures d'une-t-elle, sur les recettes de beautés de l'autre et puis lentement, on se rend compte que si tout ce qui se raconte est bien sympathique, tout cela ressemble fortement à de l'anecdotique ou plutôt à de la surface cosmétique. Les anecdotes sont vites racontées et l'on passe très vite d'une personne à une autre et finalement, après cents pages je n'ai aucunement l'impression d'être rentrée dans la tête des japonaises, plutôt d'avoir vu un catalogue des différents clichés qui impressionnent l'occidental qui vient passer quelques semaines sur place. Alors, c'est intéressant, c'est pas mal écrit et la légèreté de ton permet de traiter de nombreux sujets, mais hélas toujours en surface.


Si j'écris ce propos en n'ayant lu qu'une centaine de page, c'est que ce sentiment d'insatisfaction grandissait en moi, ce qu'une simple anecdote a mis en lumière : Une des deux autrices nous parle de sa "semaine gastronomique" à Tokyo avec une japonaise, portée sur la bonne chaire. Et voilà que l'on voit notre autrice découvrir le Wasabi, qu'elle prenait jusque là pour du "guacamole" : ainsi donc notre autrice ne semble rien connaître du Japon. J'entends par là que n'importe qui s'étant déjà un peu intéressé au Japon connait le wasabi, cette moutarde verte qui accompagne souvent notre plateau sushi. Et alors j'ai compris ce qui me dérangeait tant, c'est que le livre ne traite pas tant des femmes japonaises et de leur quotidien que de la rencontre de deux femmes françaises qui ne connaissent rien au Japon avec celles-ci. D'ailleurs à y regarder de plus près, nos deux françaises font le tour du Japon touristique, certes un peu avancé, que l'on retrouve dans beaucoup de documentaires généralistes et le livre constitue autant un retour d'anecdote qu'un récit de voyage matinée d'information journalistiques sur le nombre de salon de coiffure de tel ou tel quartier. C'est très bien pour le néophyte, mais en fait, il ne faut pas trop compter sur l'analyse sociologique. Nos autrices passent certainement du temps avec leurs informatrices, mais presque aucune parole n'est retranscrites telles qu'elles. Pourtant, on a le sentiment que nos autrices connaissent le japonais car le livre est truffé de vocabulaire permettant l'immersion, mais finalement jusqu'ici, les femmes présentées sont résumée en quelques lignes un peu clichée et l'explication de leurs comportement plus ou moins exotiques ne font qu'une ou deux lignes, à la manière d'un quasi micro-trottoir. Bref, cela illustre, mais n'explique rien.


Si l'on compare ce travail à celui des carnets d'anecdotes de Muriel Jolivet, le gouffre est sans fond puisque Muriel Jolivet est sociologue et habite depuis des dizaines d'années au Japon. Au delà de l'anecdotique se glisse l'analyse d'une société en mutation. Ce sentiment s'estompera-t-il à la lecture de la seconde partie...


150 pages plus tard, j'ai avalé le livre en me forçant un peu je dois dire. J'aime terminer les films ou les livres que je commence quitte à le faire à marche forcée. La deuxième partie se penche un peu plus sur le quotidien des femmes et se montre plus intéressant. On entre dans les tâches habituelles, crèche, salon de beauté, gynéco. Le livre fourmille de petits détails sur ce qui différencie nos vies de celles des japonaises, peu à peu on perd le côté guide touristique mais on garde le côté journalistique. Chaque situation rencontrée est propice à nous abreuver de chiffres sur le Japon sans que l'analyse n'aille au-delà de quelques lignes. La prostitution ? On nous donnera quelques chiffres et on nous dira que des jeunes filles le font volontiers pour se payer un sac Vuitton. C'est certainement vrai pour certaines, si on les interroge en une phrase et qu'on ne creuse pas plus loin. Parce qu'hélas, malgré trois cents pages sur les femmes japonaises, je suis bien en peine de désigner ne serait-ce que plus d'un profil. Chaque femme est présentée en une ou deux lignes, les auteurs nous font part d'une ou deux réflexions sur le sujet du chapitre et ça s'arrête là. Les interviews ne font office que d'exemples entre statistiques et comparaison maladroite avec la France. Certainement pour faire "jeune" ou pour ne pas perdre le lecteur, la comparaison avec la France est faite à chaque anecdote ou presque. C'est un peu usant à force. Finalement, les auteurs arrivent très peu à briser les apparences et semblent souvent se contenter des réponses de surfaces données par leurs informatrices. Cela ne veut pas dire que ces réponses sont fausses, mais elles cachent souvent une réalité complexe qu'on fait entrer dans des stéréotypes. Il est possible que le livre nous parle plusieurs fois des mêmes femmes, mais le lien n'étant jamais fait, il m'est impossible de m'en rendre compte.


Si je fais le total, j'ai beau être convaincu que le livre a demandé beaucoup de temps et de recherche, parce qu'il fourmille d'anecdotes toujours difficiles à dénichées et compiler, il ne me donne par réellement le sentiment d'être entré dans l'intimité des femmes japonaises, au mieux d'avoir parcouru un catalogue la redoute d'anecdotes qui restent le cœur du livre. Pour le dire autrement, le livre est construits autour de ce qui étonne les autrices françaises et les femmes japonaises elle-même, restent reléguée derrière ces quotidiens. Je n'ai jamais l'impression que les autrices ont osée creuser, contredire, bousculer leurs informatrices pour regarder ce qui se passe derrière leurs masques sociaux.

GwenaelGermain
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le 29 févr. 2020

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