Tombant
Tombant

livre de Fabien Clouette (2022)

A bord d’un break qui éclate le garde-corps de la route du bord de mer, quatre jeunes gens décollent pour leur dernier plongeon. Quelques secondes suffisent pour que la voiture s’enfonce dans la mer et pour que l’eau remplisse l’habitacle. Quelques secondes qui, étirées indéfiniment, font défiler sous les yeux du narrateur l’été passé avec V., qui l’initie à la plongée et dont il tombe amoureux, et avec Stella, Ponce, Isabella et Cosmos, lui aussi disparu en mer.


C’est amusant de voir qu’un argumentaire similaire - la mort par noyade qui, le temps d’un long flashback, est l’occasion d’un récit de vie en spirale - a inspiré, à quelques années d’écart, un petit groupe d’écrivains francophones. Je pense à Ali Zamir, à Bertrand Belin, à Jean-Marie Blas de Roblès (et si vous en connaissez d’autres, ça m’intéresse). Mais on peut évidemment compter sur Fabien Clouette pour livrer une version très singulière de ce qui devient presque un trope.


Le cadre de Tombant semble se situer juste au bord du réel : c’est un endroit légèrement menaçant peuplé d’épaves, où les boites de nuit sont des carlingues d’avions et où des cargaisons de VHS échappées de containers naufragés viennent régulièrement s’échouer sur les plages, où le commissariat en travaux est délocalisé dans les fosses d’un aquarium vidé de son eau. Autant d’indices qui donnent l’impression que l’on se déporte constamment vers un autre temps (une vision futuriste, comme peut le laisser entendre une certaine poétique de la catastrophe ?) ou un autre espace. C’est en tout cas, pour parler d’espace, un roman résolument sous-marin, qui revient constamment comme dans une boucle sans fin à la dissolution de ses personnages dans les profondeurs - au sens propre ou au sens figuré lors d’expérience de plongée presque extatiques -, et dans lequel on a par moments l’impression que tout est perçu au travers du voile bleuté des abysses.


Pour autant, je ne voudrais pas donner l'impression que Tombant est un texte brumeux ou démesurément abstrait. Non seulement émerge au fil du texte une dimension sociale au travers du désœuvrement de cette bande de jeunes qui, coincé entre petits boulots et combines plus troubles, ne rêve que de fuir : on croirait presque, par moments, la jeunesse désabusée mise en scène dans les romans d'Emmanuelle Bayamack-Tam/Rebecca Lighieri. Mais, surtout, l'écriture de Fabien Clouette s'ancre au plus près de sensations physiques intenses qui donnent toute sa rugosité au texte: c'est « comme si on léchait une poêle brûlante sur laquelle se prépare un roux trop sec, métallique » - écrit-il très opportunément dès la deuxième page. Sa véritable prouesse est de maintenir cette intensité sensorielle de bout en bout, avec l'inventivité poétique dont il faisait déjà preuve dans ses précédents livres, faisant de Tombant un texte qui happe, quasiment jusqu'à l'asphyxie.

Cyril-spoile
7
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le 5 nov. 2022

Critique lue 8 fois

Cyril T

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