2011, c’est l’espoir des printemps arabes et la dictature qui s’effondre en Egypte, 2015, le même pays est envahi par d’étranges troupes occidentales, déclenchant une résistance aussi féroce qu’impitoyable, 2035 les armées d’occupation se retirent, 1063, un étrange martyr ressuscite devant une foule en transes. Ces temporalités distinctes et complémentaires traversent ces Trois saisons en enfer, où l’on suivra surtout un ex-officier de police promu bourreau par un gouvernement secret, et un homme qui recueille une enfant orpheline pour l’aider à retrouver le corps de son père. Sur une trame dystopique somme toute classique - partir de ce qui est arrivé pour dévier sur un “et si ?” -, Trois saisons en enfer devient le cri désespéré et nihiliste d’un auteur qui n’a plus que l’écriture pour expier sa désillusion. Aparté : je suis pour ma part habitué à des livres “durs”, des écritures extrêmes et des oeuvres qui visent à défier les lecteurs mais ce livre, ce Trois saisons est, sans nul doute à ce jour, l’expérience de lecture la plus violente et éprouvante que j’ai connue, au point qu’il m’a fallu m’y reprendre à trois fois pour le finir. Ce n’est même pas “noir” c’est au delà encore, comme si Cormac McCarthy et William Burroughs avaient pondu un enfant mutant adopté par David Cronenberg et même ces références ne donnent qu’un effleurement du nihilisme du livre, puisque les faits racontés sont d’abord basés sur la cruelle réalité de l’effondrement de l’espoir des révolutions arabes, et de la féroce répression qui s’en est suivie. Plus rien n’est à sauver, la terre est devenue l’enfer voire l’enfer a toujours été là, meurtres de masse, foules hallucinées et homicides, cannibalisme, viols d’enfants, et au milieu de la folie une poignées d’êtres humains tentent de comprendre ce qui se passe avant d’être rattrapés et écrasés par l’horreur. Et puisque décidément, la “vraie” horreur, celle politique des dirigeants qui se vengent de leur propre peuple, ne semble pas suffire, - un des personnages est littéralement chargé de “punir” la population civile en tuant le plus de personnes possible, dans un écho morbide à la vengeance des officiers égyptiens, et les charniers s’accumulant partout résonnent de la Syrie à l’Irak -, il faut encore y rajouter les mutations qui affligent les enfants, perdant tous leurs sens à la fois, dans des scènes de body horror les plus dérangeantes lues depuis…depuis jamais avant comme ça, en fait. Livre dur, extrême et assumé, à la fois thérapie du deuil de l’espoir, exorcisme et cri de colère désemparée, Trois saisons en enfer est une expérience de lecture éprouvante au point où je ne sais pas si je dois le recommander. Mais Mohammad Rabie, il faut le lui reconnaître, à eu le courage de l’écrire. Pour moi, ces trois saisons vont m’accompagner longtemps et je vais passer le reste de l’été à lire n’importe quoi de plus léger, en fait…n’importe quoi d’autre, finalement.

thierrymarot
7
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le 22 août 2024

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