Il n'est point besoin d'écrire Guerre et paix ou Tandis que j'agonise (par exemple) pour toucher du doigt, le plus profondément qui soit, la précarité et en même temps la complexité de la condition humaine. Le jeune auteur sri lankais Anuk Arudpragasam réussit ce prodige dans une histoire simple, sur vingt-quatre heures , dont la densité et l'épaisseur laissent pantois. Le récit ne quitte pas d'une semelle Dinesh, 20 ans, qui depuis des mois n'en finit pas de fuir la guerre, passant d'un camp de réfugiés à un autre, côtoyant l'horreur au quotidien, et perdant peu à peu son humanité et tout sentiment. Il suffit de la proposition d'un vieil homme de contracter un mariage avec sa fille, afin de protéger celle-ci, pour que, l'espace d'un temps réduit, Dinesh oublie l'animalité qui prenait possession de lui. Un bref mariage n'est pas un livre qui se dévore avec avidité, il se déguste par petites lampées dans une narration hypnotique et hantée comme un film de Weerasethakul. Le meilleur exemple est le chapitre où le héros du roman se lave nuitamment près d'un puits. Sur trente pages, il n'y a rien d'autre que la description de ce bain qui symbolise le retour à la vie et au désir d'un homme accablé par le malheur et l'inéluctabilité de son sort. Peu après, à l'opposé de la tendresse qui se dégageait de ce passage, un nouveau chapitre relate un bombardement d'une violence infinie qui dit toute la sauvagerie d'une guerre aveugle. Tout l'art de Arudpragasam est contenu dans ce mélange de sensations narrées de façon subtile et lumineuse, lente aussi, il faut le dire, raison pour laquelle il convient de faire montre de patience pour déguster le livre à sa juste valeur. Et pourtant, le style de l'auteur n'est pas exempt de répétitions avec un usage systématique d'adverbes. Le terme "Evidemment" revient à peu près toutes les cinq pages et cela ne peut être une simple coïncidence. Il est comme intrinsèque à la voix intérieure de Dinesh qui, sans arrêt, remet en question tous ses actes, même les plus banals, à l'aune d'une existence dont le passé a cédé à l'oubli et où l'avenir semble inexistant. Le lecteur se trouve immergé dans les pensées du jeune garçon et n'a d'autre choix que de le suivre dans ces heures tragiques puis douces, pour seulement un instant, où le seul acte de survie demande une énergie incommensurable. Inutile de dire que le nom (difficile) de Arudpragasam est à retenir pour tous les amateurs de littérature.

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le 17 déc. 2016

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