C’est l’une des sept pièces (sur 176) que Labiche a écrites sans aucun collaborateur. Le génie du Maître devrait donc s’y révéler dans ses spécificités.

Le comique des noms des personnages, suggestifs jusqu’à la caricature, montre le souci de Labiche d’exploiter la langue française : « Dardard » pour « Le Jeune Homme pressé », « Pontbichet » pour le bourgeois vieillissant et une peu rassis qu’on peut mystifier. Seul « Colardeau » relève le niveau (nom d’un écrivain du XVIIIe siècle). Par ailleurs, on voit une résurgence d’un des thèmes préférs de Labiche : l’attention portée à l’orthographe et à la grammaire (scènesIV, IX, X,XI)

Labiche se soucie peu de la vraisemblance : Dardard débarque à 2 heures du matin chez Pontbichet pour le sommer de lui donner sa fille immédiatement, et c’est lui-même qui s’autoproclame « Un jeune homme pressé ». La caricature se définit donc elle-même, et Labiche va encore plus loin dans ce procédé très moderne, qui consiste, pour un personnage de fiction, à se faire le critique ou le commentateur distancié de ses propres actions. Qu’on en juge : « Dardard : Le vaudeville est l’art de faire dire oui au papa de la demoiselle qui disait non . » « Tenez, dans ce moment, nous jouons dans un vaudeville…Vous dites non, eh bien, vous direz oui…à la fin. ». Cette distanciation quasi brechtienne du personnage vis-à-vis de lui-même est pour le moins inattendue, chez un Labiche réputé être le parangon de la pièce légère bourgeoise.

Dardard, investi du dynamisme printanier de Labiche, entre par la fenêtre lorsqu’on l’expulse par la porte ; printanière également, et d’une coupable inconséquence, son ardente toquade pour la fille de Pontbichet, uniquement fondée sur sa beauté physique : il suffit de voir le recul de dégoût de Dardard lorsqu’il croit entrevoir que la fille en question est plutôt moche ! Plus datée, la justification de son caractère emporté et primaire au nom de ses origines bordelaises ; on ne savait pas que les Bordelais étaient si superficiels et rentre-dedans. Il circonvient Pontbichet en lui achetant un grand nombre de gants (Pontbichet les fabrique), et par son ingéniosité magouilleuse pour les revendre en Angleterre avec un maximum de bénéfices.

Par contraste, Colardeau, plus effacé et assez benêt (mais pas tant que ça), s’est assuré la fille de Pontbichet en riant à tout ce que son futur beau-père peut dire.

Bien sûr, il faut une méprise quelque part : Dardard se trompe de fille, on verra comment. Le retournement final est d’une vraisemblance très suspecte, mais si Dardard s’est trompé de fille, il s’est trompé aussi dans sa définition du vaudeville : au final, ce n’est pas le père qui finit par dire oui !
khorsabad
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le 21 sept. 2013

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