C'est via Eric Zemmour que j'ai découvert cet ouvrage dans lequel il voit la preuve permettant de démontrer que la collaboration fut de gauche, la résistance de droite et que depuis toujours on a inversé les deux positions mais qu'il est temps, preuve à l'appui de rétablir la vérité cachée. En somme, depuis toujours la gauche ce sont des collabos et la droite des résistants. A rebrousse poil de l'idéologie dominante qui pronerait l'inverse.

Le nom de cette bible : un paradoxe français de Simon Epstein.

Et comment dire?
Mal poser les questions, est source de réponses de piètre qualité, quel que soit le travail fourni pour y répondre.

Voyons donc comment s'articule la réflexion d'Epstein. Ce dernier pose une double question qui consiste à savoir:
- y a t'il eu des cas d'antiracistes et de philosemites devenus des collaborateurs/ vichystes?
- y a t'il eu des cas d'antisémites devenus résistants?
Pour y répondre, une seule méthode : la force du nombre, avec une multitude de biographies accolées les unes aux autres, plus ou moins regroupées par chapitres. Un travail qu'il aurait débuté avec les dreyfusards devenus collaborateurs vichystes.

En soi pourquoi pas. L'idée étant de dire que l'ami en paroles d'hier peut-être l'ennemi de demain.
Mais déjà il y un triple problème avec cette méthode :

  • elle confond corrélation et causalité ;
  • de ce fait elle tient pour implicitement acquise le fait que ce qu'il fait réfuter c'est que c'est par antisémitisme que l'on s'engage dans la collaboration ou le vichysme, là où cette décision peut être sans rapport direct avec leur opinion sur les juifs. C'est particulièrement vrai pour les gens qui entre 1940 et 1942 ont cru, de bonne foi, trouver dans le Maréchal Petain un protecteur contre l'occupant;
  • elle fait une impasse systématique sur les antisémites devenus collaborateurs et les antiracistes devenus résistants au motif que ceux ci sont déjà traités par ailleurs.

Du coup, la démonstration est de très faible portée. Les figures les plus emblématiques côtoient les oubliés de l'Histoire, les plus ardents collaborateurs sont mélangés aux plus tièdes des vichystes, sans d'ailleurs réussir à apporter la preuve d'un antisémitisme individuel dans chaque cas. Sans compter des mélanges de genres produisant des inexactitudes flagrantes comme lorsque l'auteur parle d'un Pierre Laval socialiste révolutionnaire devenu collaborateur en faisant l'impasse sur son passage à droite depuis les années 30 au moins (il sera éjecté du pouvoir par la coalition du Front populaire...) pour expliquer benoîtement que Laval est un homme de gauche lors de la rafle du Vel d'Hiv.

La démonstration inverse est encore moins probante: Epstein s'étonne du grand nombre d'antisémites devenus resistants. Encore une fois le rapprochement pour être paradoxal, n'a pas de portée réelle confondant causalité et corrélation: on ne devient pas en soi résistant parce qu'on est antisémite et il n'y a aucune raison de postuler que l'antisémitisme était en soi une raison suffisante pour refuser d'être un résistant.

Dès lors, la conclusion qui supposément restaurerait la vérité sur la résistance, au sein de laquelle au fond chez les resistants, le courant dominant serait des antisémites dont le patriotisme aurait primé et chez les vichyses le pacifisme l'aurait emporté sur l'antiracisme plus ou moins de façade n'est que le résultat faussé d'hypothèses de travail mal formulées dès le départ et rendent stérile le très fourni travail de biographies croisées que l'auteur obtient. Rapprochements hasardeux et hypothèses méthodologiques insuffisantes produisent un raisonnement qui, pour s'appuyer sur une documentation touffue, n'en est pas moins bancal.

La bible de Zemmour, le paradoxe français n'est au fond que cela: une problématique mal posée et mal ficelée qui donne des réponses faussées et s'imagine réinventer l'eau chaude là où elle se noie dans un verre d'eau. Reste la liste des biographies pas inintéressantes mais faiblement pertinentes à cause de l'angle choisi pour les traiter.

Lestrade
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le 30 sept. 2021

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