Il en est qui vouent leur vie à l'art, au cinéma ou aux autres. Le héros de ce livre, Roscoe, lui, c'est l'électricité qui le fait vibrer. Cette puissance quasi-surnaturelle enfermée dans des gaines de caoutchouc et capable de changer la vie d'une simple ferme du tout au tout, le fascine depuis
Les réverbères de Birmingham. La première fois que je les ai vus, je ne pouvais plus détacher mon regard de ces ampoules, la rue était illuminée par une force plus vaste que je n'en avais jamais connue.
Nous sommes au tout début du XXème siècle en Alabama. Roscoe vit avec sa femme Marie et leur fils Gerald, dans la ferme que cette dernière a hérité de son père. Dès les premières pages, on comprend que le chef de famille ne s'intéresse aucunement à la vie agricole : ce qui le branche, on l'a compris, c'est le jus, le courant. Avec l'aide de son contremaître, Wilson Grice, il va trouver le moyen de détourner (illégalement) des lignes d'Alabama Power pour alimenter la ferme.
L'exploitation tourne comme jamais. Epoque de prospérité. Couple à nouveau heureux, famille unie. Puis, brusquement, ellipse temporelle, la narration marque un virage : on découvre Roscoe en prison. Qu'a-t-il fait pour se retrouver à purger une peine de 20 ans un pénitencier empli de criminels patibulaires et de gardiens tout aussi cruels ?
La première partie m'a semblé par moments un peu ennuyeuse, notamment les passages assez techniques de bidouillage de câbles et de bricolages variés dans la ferme. Mais l'arrivée en prison permet à l'auteur de faire basculer son récit familial dans le thriller carcéral ambiance Un Prophète.
S'alternent les chapitres sur ceux qui sont restés à la ferme, et ceux qui sont en délicatesse avec la justice - Roscoe, bien sûr, mais aussi son contremaître, considéré comme son complice et qui, lui aussi, a vu sa vie broyée. Il va donc être question d'avocats, de demandes de libération anticipée, d'interrogatoires inhumains, de travail harassant dans un chenil, de séquestration et de barbarie. Tout cela rendu par la plume à la fois lyrique et précise de Carine Chichereau. (Rendra-t-on un jour assez grâce au formidable travail et au talent des traducteurs ?)
Il est aussi question, au sein de toute cette noirceur, qui jamais ne cède un pouce à la facilité, de la rédemption que constitue une bibliothèque dans une prison, de ces moments lumineux où le livre devient le seul salut possible, la seule fenêtre d'espoir, l'unique respiration quotidienne.
Un livre sombre, mélancolique, violent, mais aussi extrêmement humain, qui brosse un touchant tableau des relations humaines qui résistent aux drames, des fidélités dont on ne démord jamais, d'un père qui espère retrouver sa place auprès de son fils et de l'amour qu'on espère voir gagner toutes les batailles.