Catherine II, la Grande, tsarine ogresse, dévoreuse d'amants, a t-elle pu être, ne serait-ce qu'une fois, une femme aimée ? C'est la principale question que se pose Andreï Makine, dans un roman qui n'utilise des éléments biographiques que pour mieux s'interroger sur le sens de l'Histoire qui ne retient que quelques schémas simplistes sans chercher à aller plus loin que la légende, ou le mythe. A travers un personnage de cinéaste obsédé par la figure de Catherine, Makine nous parle dans le même temps de l'URSS de Brejnev puis de la Russie de Eltsine. Tourner un film sur la tsarine ? A une première époque, la censure veille, l'idéologie prime et le portrait de la susdite ne pourra s'écarter de la version officielle. Dans une deuxième époque, une série télévisée, avec sa combinaison de pouvoir et de sexe, voulue par un oligarque qui ne pense qu'en termes d'audience et de rentrées publicitaires, se délectera de la nymphomanie présumée de la souveraine scandaleuse. Autres temps, autres moeurs, Makine étant bien plus inspiré, et virulent, lorsqu'il évoque la période plus contemporaine dont il n'a de cesse de dénoncer la vulgarité. Une femme aimée est un roman ambitieux qui joue sur plusieurs tableaux pour arriver à en dessiner un seul, celui de la Russie éternelle. L'auteur voltige et se joue de la chronologie dans un style heurté, loin d'être limpide. Le plus grand défaut du livre est sa redondance dans sa description de la vie de Catherine. Etait-il besoin, par exemple, de revenir à plusieurs reprises sur un (pseudo) épisode zoophile qu'ont rapporté plusieurs historiens ? S'il avait un peu délaissé l'existence trépidante de la tsarine et avait développé davantage son personnage d'artiste russe, dans l'impossibilité d'imposer sa vision intime et originale face au dogme communiste, puis à la toute puissance de l'argent, le livre aurait gagné en force, en pertinence et en lisibilité. Tel quel, il laisse un peu sur sa faim.