Fichtre, que j'ai mis longtemps à lire ce livre. Au moins un mois et demie. Commencé pendant le confinement et fini la semaine dernière. Bon, c'est vrai que c'est copieux : 620 pages dans l'édition de poche et de tous petits caractères. Peut-être le début de la presbytie,qui sait ? Le confinement n'a pas aidé, c'est certain, même si ça pourrait sembler paradoxal (je lis beaucoup durant mes déplacements professionnels, et ils se sont évidemment bien raréfiés ces derniers mois). Mais la vraie raison n'est sans doute pas dans ce qui précède. Non, la vraie raison, c'est la tristesse infinie qui sourd ce bouquin. Au point qu'il n'appelle guère à s'y plonger, une fois qu'on a compris que, quoiqu'il arrive, il n'en sortirait rien de rose.
Là, je vois déjà les trolls se précipiter sur les commentaires et m'agonir de "mais pourquoi tu lui as mis une note de 7, alors ?". Ben, la note, si elle ne reflète que mon avis, là elle reflète le fait que ce bouquin est quand même plutôt bien, même s'il est totalement désespérant. Rarement lu un truc avec une ambiance aussi noire. L'intrigue est en fait concentrée sur quatre jours et la narration détaille, avec un luxe de précision incroyable, tant les situations que les décors. Ni les unes, ni les autres n'incitent, on l'aura compris, à l'allégresse, mais, de plus, cette avalanche de petits faits et gestes a pour conséquence d'étouffer toute bribe d'émotion qui pourrait essayer de surgir d'une situation par ailleurs fondamentalement sordide.
D'une certaine manière, ce bouquin raconte un fait divers banal, mais qui va impliquer deux communautés, l'une noire, l'autre blanche, dans un coin du New Jersey. Attention, pas un truc si dramatique que ça (un peu quand même), on ne parle pas de l'assassinat de Georges Floyd. Ça se passe il y a une vingtaine d'années, et bien évidemment, les tensions sont présentes. Mais ça va monter lentement, sur fond d'impuissance des principaux protagonistes et de faux-semblants pour se terminer comme on pourra aisément l'imaginer. Bien évidement, ça fait écho à l'actualité, même si cette dernière tend à indiquer que la situation aurait largement empiré depuis 20 ans.
Après, dans la construction, il s'agit d'un roman choral, où le lecteur suivra, dans un chapitre sur deux, tantôt Lorenzo Council, flic noir, tantôt Jesse Haus, une journaliste blanche. Avec force détails et sur un rythme lent, comme je l'ai dis plus haut. De quoi méditer sur la grandeur et les servitudes de la police de proximité, celle qui n'existe plus en France depuis que Sarkozy l'a remplacée par des cow-boys. De quoi méditer également sur les médias et les chaines d'information en continu, qui, elles, par contre, prolifèrent en France de nos jours. Tout ça pour dire que la peinture sociale et sociétale, qui s'apparente parfois à de la dissection, est intéressante, d'autant qu'entrera dans la danse, en milieu de bouquin, une sorte d'association de citoyens vigilants.
Nos deux personnages, Jesse et Lorenzo, sont naturellement très fouillés, puisque l'auteur s'est donné le temps d'approfondir. Cela dit, ils ne sont, d'une certaine façon, que la personnalisation des institutions auxquelles ils appartiennent. Et en fait, j'ai trouvé que le personnage le mieux réussi est celui de Brenda, qui est au centre de l'intrigue. Pauvre Brenda, qui dérive, ballotée au fil des pages, vers son destin tragique. Mais, je n'en révélerai pas plus, puisque le propos d'une critique n'est pas de raconter le bouquin...