La fin de l'homme viril?
Beaucoup de phrases sont des lieux communs. Pas la peine de rappeler toutes les 10 lignes le lien entre gène Y et sexe, on le sait. Le raccourci entre caractère et gène revient trop souvent. L’homme...
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le 4 oct. 2023
Ouvrage décevant et orienté sur certains concepts à bien des égards. Il reste toutefois intéressant et je ne regrette pas du tout de l'avoir lu. Ce qu'il faut retenir c'est que pas plus que le patriarcat, le féminisme est aussi une idéologie. Après, on peut être pour une société féministe en arguant qu'il s'agit probablement d'un progrès pour l'humanité, certes. Ceci reste tout de même une idéologie politique. Comme toute idéologie, elle prend à son compte des arguments d'autorité pour se légitimer afin de donner du crédit au modèle qu'elle propose. Pour Elisabeth Badinter, l'autorité sur le thème de la masculinité sont les mouvements féministes américains depuis les années 60 (fameuses Gender Studies), le sociologue Pierre Bourdieu, le philosophe Michel Foucault et Freud. Bref, toute la pensée structuraliste qui fut dominante en France dès le milieu du XXème siècle et qui a donné, par ailleurs, la French Theory : la pensée par excellence de la déconstruction. Nébuleuse contestable selon moi.
Quoiqu'on pense des penseurs structuralistes franco-américains et du néo-libéralisme en général, ils sont aujourd'hui de plus en plus contestés par les intellectuels de tous bords qui leur reprochent d'avoir été le porte-étendard du nihilisme. Nihilisme absolu qui fait le jeu du Capitalisme forcené et de l'individu-roi, atomisé et narcissique. La perte des repères, tout comme leur déconstruction systématique par les intellectuels de gauche, amène non pas une société apaisée, épanouie et libérée du joug patriarcal mais, au contraire, des oppositions systématiques de groupes, de communautés, d'individus détruisant dès lors toute possibilité de rassemblement autour de valeurs communes ainsi qu'une nouvelle forme d'esclavage post-moderne (les femmes libérées des hommes se sont empressées de trouver de nouvelles chaînes auprès du Capital). Comment faire société ? Comment préserver l'héritage et la culture (au sens noble du terme) lorsqu'on pratique la politique de la table-rase ou que l'on promulgue le désir individuel comme idéal ? Les limites, au-delà de la frustration qu'elles supposent, sont-elles seulement acceptables pour la condition humaine ? Doit-on les préserver ou, au contraire, les franchir systématiquement ? Ce phénomène va crescendo depuis les années 90, l'actualité me donne raison.
C'est dans ce contexte que Badinter écrit en 1992 XY de l'identité masculine, un livre qui m'a appris beaucoup de choses en particulier sur la perception des parents par le bébé et la capacité pour le nouveau-né d'assimiler consciemment et inconsciemment une quantité phénoménale d'informations qui le structureront tout au long de sa vie d'adulte. L'auteur nous dit que l'homme, plus que la femme, rencontre des difficultés supplémentaires pour fabriquer son identité d'homme-mâle. En effet, né dans un corps de femme et materné dès ses premiers jours, la fusion mère-bébé, autant physique que psychologique, est d'autant plus difficile à se défaire qu'elle est une source de plaisir et de joie immense pour le nourrisson.
La thèse principale de Badinter, et que j'approuve globalement,c'est que l'identité masculine n'est jamais complètement acquise et qu'elle repose sur une opposition systématique, innée presque, entre mâle et femelle. L'homme, le jeune garçon, doit affirmer sa singularité pour développer son identité propre en se définissant "contre" le féminin ou, plus tard, "contre" l'homosexuel. C'est une identité fragile, en tension, qui, selon les psychanalystes, procède par fractures successives dont, la plus importante, celle originelle avec la mère. En ce sens, l'identité masculine se fait nécessairement dans la souffrance, l'inconscient est refoulé, toute trace de féminité tenue à distance pour affirmer une virilité culturelle qui s'apprend dès l'enfance, puis l'adolescence jusqu'à l'âge adulte. Ce combat psychologique et identitaire, cette lutte inconsciente menée en permanence par les hommes expliquerait, selon Badinter, pourquoi l'espérance de vie de ces derniers est plus courte que celle des femmes. L'auteur développe également, au fil de la lecture, les raisons de la crise de l'identité masculine au XXème siècle en s'appuyant sur la littérature écrite par des hommes au cours des 40 dernières années. En effet, on s'aperçoit que l'absence du père, l'éloignement de celui-ci lors des procédures de divorces, la féminisation rapide des sociétés occidentales, la perte des repères ou des rôles autrefois attribués aux hommes sont sources d'un mal être puissant chez beaucoup d'entre eux. La démonstration est assez convaincante, rien à dire de plus.
Le problème c'est que ces thèses à priori intéressantes sont noyées au beau milieu d'un plaidoyer pro-homosexuel (au moins la moitié des pages du livres) qui débouche sur une conclusion abracadabrantesque : l'homme de demain, l'homme réconcilié avec lui-même sera nécessairement un homme androgyne et qui assumera sa bisexualité. Bah voyons... Traduction : le féminin est la seule solution aux maux de cette planète et aux conflits sociaux, sexuels, générationnels, d'identités etc. La masculin, c'est le mâ... mal ! Elle s'appuie sur bon nombres d'études de genre qui ont été réalisées pour la plupart aux États-Unis entre les années 70-90 ainsi que sur Freud nous disant que les humains sont bisexuels par défaut et que cette bisexualité serait inconsciente. Bon déjà, il faut être d'accord avec ce postulat de départ. Personnellement j'ai dû mal, surtout que Badinter, en matière de mauvaise foi elle s'y connaît. Quand Freud dit que les humains sont tous bisexuels par nature, ça passe et cela lui donne du crédit pour légitimer la féminisation en devenir des hommes tout comme la cause homosexuelle. En revanche, lorsque Freud dit que l'homosexualité peut-être perçue comme une forme de déviance liée à une relation mère/fils trop prégnante et par l'absence du père pendant le développement de l'identité du jeune garçon, bah là, il raconte des conneries le père Freud. On fait ces courses Elisabeth ? Comment ça se passe ? Ensuite, admettons que nous soyons tous bisexuels, ceci reste de l'ordre de l'inconscient pour la plupart, tout comme l'homosexualité peut-être latente chez beaucoup d'individus. Cela signifie t-il pour autant qu'il faut absolument l'assumer, assouvir ces pulsions inconscientes et les mettre en pratique ? L'inconscient, s'il est inconscient, ne doit pas t-il, dans une certaine mesure, le rester ? Je n'ai pas les réponses à ces questions ouvertes, chacun y trouvera son compte.
Elisabeth Badinter flirte aussi avec les grands idées de complot universel masculin (c'est à la mode en ce moment) en expliquant que se sachant psychologiquement faible face aux femmes, ayant conscience de ses failles identitaires (liées au processus de rupture de la prime enfance avec la mère), l'homme aurait mis en place le concept de virilité masculine posant ainsi le cadre des sociétés patriarcales où la force, la compétition, la guerre et le "pénis" tiennent une place centrale laissant aux marges des décisions et du monde les femmes. Le patriarcat et la virilité seraient donc des artifices permettant aux hommes de camoufler la peur de leur propre féminité. Je trouve ça ridicule même s'il y a une part de vérité. En déduire qu'il s'agit d'une machination voulue et appliquée à dessein, c'est franchement être à côté de ses pompes et s'obstiner à faire des hommes des femmes qui s'ignorent.
Je crois qu'il faut préserver les différences ou lieu de les lisser. Il en va de l'intérêt des femmes et des hommes. L'égalité à tout prix qui souhaite désormais s'inscrire dans la tête et le corps des hommes, comme s'ils étaient coupable de cultiver leur altérité est, à mon avis, une impasse. La virilité lorsqu'elle est excessive est dangereuse et ridicule. Qu'elle soit biologique ou culturelle, peu importe. Là n'est pas la question. Si la virilité, "les codes masculins" sont enseignés aux jeunes garçons dans le respect des femmes et sans excessivité, c'est-à-dire en prenant en compte sa part de féminité, alors elle n'a pas à être honnie et placée au pilori comme une pratique d'un autre âge. On ne le dira jamais assez : les hommes sont des hommes et les femmes sont des femmes. N'y voyez aucun sous-entendu pervers ou machiste mais l'avenir version Badinter où les hommes et les femmes seraient androgynes et où l'utilisation du mot "père" et "mère" seraient interchangeables, ressemble pour moi, et comme beaucoup d'autres personnes, à une dystopie totalitaire.
Enfin, accepter sa part de féminité pour les hommes ne devrait pas placer en porte étendard les homosexuels et les transsexuels qui sont des individus respectables, mais à part dans le processus de développement de leur identité. Tous les homos et transsexuels n'ont pas eu nécessairement de père absent ou de mère trop présente (ce serait ridicule de l'affirmer) mais beaucoup d'entre eux en sont effectivement passés par là. Car l'auteur aussi juste que soit sa cause affirme textuellement qu'un enfant doit trouver un équilibre entre l'amour maternel et la figure paternelle.
Déconstruire les rôles, les inverser et/ou les transformer afin de calquer l'homme sur le modèle soit disant "apaisé" des femmes me semble aussi risible que la société patriarcale d'antan qui affirmait que les femmes étaient molles, lascives et incapables de jugement. L'identité masculine n'est pas une tare contrairement à ce que nous dit aujourd'hui en permanence sur les plateaux télé. L'altérité est une force dans une société de plus en plus conformiste et égalitariste, il faut donc la cultiver avec raison et modération et ceci passera avant tout par une éducation responsable des générations futures. Mais combien d'adultes responsables aujourd'hui ?
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le 26 févr. 2018
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