Comment introduire A la croisée des Mondes (His Dark Materials) ? De loin, on pourrait dire que ces livres font parties des romans suffisamment populaires de la fin des années 1990 et du début des années 2000 et qui ont été adaptés au cinéma pour capitaliser sur le succès du Seigneur des Anneaux ou d’Harry Potter (quand ceux-ci étaient encore regardables). Sur le papier ça donne envie : récit d’initiation classique avec une héroïne enfant, orpheline. Il y a des animaux qui peuvent se métamorphoser à l’envie. Des sorcières. Des ours en armures. Une Eglise toute puissante et autoritaire… ah non l’adaptation à oublier cette facette des romans, mais on n’est pas là pour parler du film.
C’est vrai que vue de l’extérieur cette saga a l’air enfantine, la couverture avec Iorek en gros nounours n’aide pas, mais ce serait dommage de réduire His Dark Materials à cela. Dès les premiers chapitres, on devine que le monde de Lyra est plus dense qu’il n’y parait avec les mentions des Tartares ou les Panserbjørnes. On devine aussi jeux de pouvoirs entre les différents corps du Magisterium quand Lyra part avec Mme Coulter, même si tous cela se fait en toile de fond de l’intrigue principale. Le premier tome est plutôt délicieux pour qui aime les voyages. En route vers le nord l’on verra les Panserbjørnes, dont Iroek Byrnison, ainsi que les sorcières organisées en clans gérés par des reines. On comprend le monde de Lyra est une variation du notre, suffisamment proche pour qu’on ne soit pas complètement perdu et suffisamment différent pour que l’on soit dépaysé (la future série à l’air de jouer habilement là-dessus). Le deuxième tome est un peu frustrant de ce côté-là, l’essentiel se déroulant dans notre monde, même si d’importants moments, comme la rencontre de Lyra et Will ou la récupération du couteau, se déroulent dans le monde dominé par les spectres (qui sont une conséquence de l’existence des passages dans le multivers) de Cittàgazze. Cette ville portuaire qui fait penser à une ville italienne (par le nom), ou au moins méditerranéenne, c’est également là que se trouve la Torre degli Angeli, maintenant l’inspiration italienne ne fait plus aucun doute. Le dernier tome est beaucoup plus ambitieux et généreux en termes de mondes et peuples qui sont présentés. Les anges d’abord, représentés par le couple Baruch et Balthamos qui font partie de la rébellion. Les Gallivespiens, êtres humains haut d’une quinzaine de centimètres et chevauchant des libellules, sont espions au service de Lord Asriel. Plus sinistre, le monde des morts et ses harpies qui tourmentent ceux qui y arrivent, comme si mourir n’étaient pas suffisamment traumatisant. Mes préférés, les Mulefas (zalif au singulier) et leur monde paradisiaque (si on oublie les Tualapis évidemment). Je les aime bien parce qu’ils paraissent tellement étranges aux premiers abords, qui se déplacent avec des roues et ils sont au moins autant intelligents que les humains voire plus. Pullman réussi à créer des mondes variés et pourtant toujours intéressants.



« Cette histoire, comme toute histoire qui mérite d’être racontée, concerne une fille. »



Il serait facile de présenter Lyra de façon un peu sexiste puisqu’on pourrait la décrire comme étant une fille « pas comme les autres ». C’est-à-dire qu’elle n’apparait pas « féminine » (autant qu’une enfant de 11-12 pourrait l’être), elle est difficile, menteuse (elle ne s’appelle pas Lyra pour rien), elle fait des batailles de boue avec les gitans et c’est limite si les gens de Jordan College ne doivent pas l’attacher pour qu’elle se lave. Bref un côté garçonne mais ce n’est pas à cela qu’il faut réduire le personnage. Pullman est aussi malin dans sa manière de faire la faire grandir. Même si elle semble se féminiser par moment, de par sa relation avec Will et parce qu’elle est la nouvelle Eve (j’y reviendrai), elle n’est pas pour autant réduite à cela comme le montre le dénouement.



« Un meurtrier, en revanche, faisait un excellent compagnon. »



Will, deuxième protagoniste de la trilogie, est un peu comme Lyra dans le sens où il n’est pas un héros traditionnel. Sa motivation principale au début du roman est de protéger sa mère malade. Comme Lyra il sera traumatisé d’être indirectement responsable de la mort de quelqu’un et devra sacrifier une partie de lui-même au cours de l’histoire. Il est aussi relatable af puisqu’il n’hésite pas à aller se bagarrer avec des enfants plus âgés que lui pour protéger un chat.
Mary ensuite, qui devient un protagoniste à proprement parler dans Le Miroir d’Ambre. Ses chapitres sont surement les plus difficiles à apprécier car ils jurent par rapport au reste du roman où tout va vite. Mary elle découvre les Mulefas et passe du temps avec eux. A la relecture ces chapitres sont passionnants et servent de respiration assez bienvenues.
Il y a tellement d’autres personnages passionnants qui mériteraient un billet. Lord Asriel, odieux mais qui a un bonus +99 en charisme, qui sort des phrases comme « Death is going to die. », leader de la guerre contre l’Autorité. Mme Coulter odieuse elle aussi mais son développement par rapport à Lyra est assez passionnant, tout comme sa relation avec Asriel. Lee Scoresby l’aéronaute et son daemon Hester (je ne me suis jamais vraiment remis du chapitre « Fort Alamo »). Serafina Pekkala et les sorcières. On pourrait leurs dédier des pages et des pages.



« Trouver la fille et le garçon. Ne perdez plus de temps. Jouez le rôle du serpent. »



Spoiler alert pour qui n’aurait pas terminé Le Miroir d’Ambre.
Comme sa traduction française ne le laisse pas voir, le titre de la trilogie est une citation du Paradis perdu de John Milton, poème épique sur la Chute. Les romans de Pullman en sont une réécriture, en particulier Le Miroir d’ambre qui d’ailleurs cite le poème directement. Dans ce dernier tome, il est clair pour tous les personnages que la guerre contre l’Autorité, qui maintient les populations du multivers sous sa tyrannie, est une nouvelle Chute. Lyra et Will sont au centre des évènements puisqu’ils jouent le rôle d’Adam et Eve, et Mary Malone en leur racontant l’expérience du sentiment amoureux joue le rôle du serpent. Se faisant ils permettent à la Poussière, qui donne la conscience (et donc le libre-arbitre) aux êtres vivants de ne plus disparaitre. Tu m’étonnes que l’Autorité voulait la faire disparaitre.



« Tous nos atomes se mélangeront »



Le monde des morts rappelle la mythologie grecque, il a des allures de souterrains, on y arrive en prenant une barque. Il illustre à montrer les mensonges de l’Autorité à propos de la vie éternelle et du paradis, les morts qui arrivent ici sont condamnés à attendre et à être tourmentés par les harpies. Et ce sont Lyra et Will qui vont accomplir la mission de Lord Asriel de tuer la mort, en les faisant passant dans le monde paradisiaque (c’est important) des Mulefas où ils retournent à la Poussière.


Alors voilà, A la croisée des mondes c’est de la fantasy épique. Où le multivers se retrouve dans une guerre pour le libre-arbitre, les personnages se révèlent à eux-mêmes et aux autres, voient le monde tel qu’il est et promettent de faire de leur mieux pour le rendre meilleur. Un peu comme J.K. Rowling dans Harry Potter, Philip Pullman s’inspire de beaucoup de mythologies différentes pour donner un récit qui met en garde contre l’autoritarisme religieux, tandis que dans HP c’est la montée du fascisme. Dans les deux cas on a un cycle assez proche du chef-d'œuvre, que je pourrais relire encore et encore.

PierrotDameron
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le 30 déc. 2018

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