Indiana, automne 2008. En tant que citoyen moyen, Norman Muller est choisi par le gouvernement pour répondre à une batterie de questions posée par le super-ordinateur Multivac, qui déterminera ainsi le futur président. On a là les jalons d’une intrigue qui se tient. Seulement, en racontant ça, j’ai raconté le tiers de la nouvelle : avec douze ou quinze pages pour en arriver là, le moins qu’on puisse dire est que l’exposition manque de rythme. Je veux dire, à partir du moment où le texte évoque le quotidien d’une famille dans le contexte pré-électoral qui est celui d’A voté, le lecteur se doute bien que c’est un membre de cette famille qui va être choisi pour l’ordinateur. (Cela dit, ça aurait pu être drôle de déjouer les attentes, mais ça n’a pas l’air d’être le truc d’Asimov.)
C’est le premier défaut de pas mal de récits d’anticipation : autant l’univers évoqué peut être saisissant d’audace avant-gardiste, autant d’un point de vue littéraire, c’est souvent d’un classicisme mortellement ennuyeux – la traductrice a dû se faire chier. Et lourd. Un agent secret explique à Norman (p. 25 de la réédition du Passager clandestin) : « Multivac vous a désigné comme le citoyen le plus représentatif pour cette année. », c’est très bien. Mais l’agent secret – et l’auteur – se sentent obligés d’ajouter « Non pas le plus intelligent, le plus fort ou le plus chanceux, mais simplement le plus représentatif. », comme si Norman – et le lecteur – ne pouvaient pas comprendre. À la rigueur, ce genre de lourdeurs passe dans une comédie – on peut penser à Idiocracy.
Le deuxième défaut : ces textes vieillissent en général plus mal que le reste, à cause des détails. On se retrouve ici avec un Multivac long de deux kilomètres et haut de trois étages, et des journaux qui « analys[ent] la situation à l’aide d’énormes ordinateurs industriels » (p. 6)… Je ne reproche pas à Asimov de n’avoir pas su prévoir les circonstances exactes du développement de l’informatique dans la seconde moitié du XXe siècle : A voté fait simplement partie de ces récits meilleurs au moment leur parution que maintenant. D’ailleurs, le texte propose quelquefois des perspectives plutôt convaincantes : par exemple l’idée que la politique est une affaire de techniciens – idée au cœur de l’intrigue, mais invisible –, ou le caractère extrêmement vraisemblable de l’argument des promoteurs de Multivac, pour qui « la machine mettrait fin aux politiques de parti, qu’elle éviterait aux contribuables de gaspiller leur argent en campagnes électorales » (p. 12) ; l’argument n’est pas vraisemblable parce qu’il serait recevable, mais parce qu’il est tout à fait cohérent avec la conception ultralibérale de la société qui modèle notre époque.
Mais ces perspectives sont sous-exploitées, au profit d’une narration qui traîne en longueur et de personnages fades. Finalement plutôt pauvre thématiquement, et indigent d’un point de vue narratif, A voté présente surtout de l’intérêt pour les lecteurs inconditionnels d’Asimov.