La protomolécule continue de susciter peurs et stupéfaction lorsque l’anneau formé par la structure qui s’était détachée de Vénus s’avère être un trou de verre menant vers une région inconnue de l’espace. La porte d’entrée à une future invasion ? La crainte est sur toutes les lèvres. Dans une paix fragile et précaire, la Terre et Mars font voile vers l’orbite d’Uranus, accompagnés de l’APE qui entend bien avoir son mot à dire. Les peuples de l’humanité font véritablement face à l’inconnu le plus total, et c’est divisé qu’ils approchent ce qui semble bien être la plus grande menace qui n’ait jamais pesé sur elle. Sauront-ils mettre de côté leurs différences pour faire cause commune ? Ou la peur et l’éternel soif belliqueuse des hommes seront-elles plus fortes que tout ?
En effet, fidèle à elle-même, si les différents peuples dispersés sont temporairement apaisés, de nouvelles sources de conflit ne manquent pas de survenir lorsqu’il s’agit de décider quel comportement adopter. Que ce soit par des hommes en manque d’autorité ou d’autres pétris des meilleures intentions persuadés de connaître la meilleure solution, des conflits naissent lorsque des individus veulent imposer leurs choix à d’autres. Tandis que la fille de Pierre Mao, le riche industriel corrompu qui est allé jusqu’à embraser le système solaire dans ses tentatives pour contrôler la protomolécule, est bien déterminée à se venger de l’homme qui a anéantit sa famille. Quitte à ce qu’à son tour elle n’hésite pas à allumer l’étincelle qui mettra le feu aux poudres…
Comme il l’avait déjà fait dans le tome 2, l’auteur James SA Corey renouvelle ses personnages en ajoutant plusieurs nouvelles têtes, mais aussi en écartant ceux qui avaient été introduits précédemment, pour ne garder que le célèbre James Holden, désormais bien connu de tout le système solaire et qui semble décidément avoir un rôle important à jouer dans le futur de l’humanité. Un choix audacieux et assez original, mais qui peut être un peu déstabilisant au début. En effet, les nouveaux personnages ne sont pas connectés au début du livre, et l’intrigue un peu isolé n’aide pas toujours à s’intéresser à leur histoire. Les personnages du second tome manquent un peu, mais il faut avouer (à part la soldate martienne) qu’ils n’auraient pas forcément leur place dans cette intrigue qui tourne uniquement autour de cette expédition.
Parmi les nouveaux, commençons par le plus intéressant, Carlos de Baca (Bull), officier de l’APE d’origine terrienne, ami de Fred Johnson à qui il doit son rang. Devant les enjeux, ce dernier est plus que jamais déterminé à ce que les planètes extérieures soient une vraie force politique, en dépit de leur retard technologique. Il décide de lancer le Béhémoth, un gigantesque vaisseau de transport civile reconverti laborieusement en vaisseau de guerre, côtoyer les appareils des planètes intérieurs. Il compte sur l’aide de Bull, à qui il sait pouvoir compter sur une loyauté indéfectible, pour mener à bien la mission. Malheureusement, en raison de ses origines, Bull ne peut avoir accès au commandement et cette fonction est attribuée à un autre officier bien moins compétent. C’est un rôle délicat et ingrat qui est confié à Bull, qui s’avère être un homme de principe et prenant à cœur ses responsabilités. L’adhésion est alors rapide pour ce personnage qui n’hésite pas à sacrifier sa propre santé pour le bien des siens. Il choisira de risquer la paralysie plutôt que d’être plongé dans un coma et ne pas pouvoir prendre les décisions qui s’imposent. Mais Bull n’est pas non plus un tendre et il n’hésite pas à ordonner d’éliminer des gens, quand il ne les élimine pas lui-même, si la situation l’impose. Un allié de poids, une fois toutefois l’avoir convaincu que vous n’êtes pas un danger pour l’équipage…
Il y a celle qui se fait appeler Melba Koh, de son vrai nom Clarissa Mao, qui entreprend de salir la réputation d’Holden avant de l’éliminer, lui ainsi que son équipage. Pour autant, Melba n’est au fond d’elle pas une mauvaise personne et serait plutôt même de nature compatissante. Les actes qu’elle se force à commettre finissent d’ailleurs par lui peser lourdement sur la conscience, au point qu’elle finit par ne plus savoir qui elle est vraiment. Un personnage certes ambigu, mais qui au final ne remporte qu’une adhésion limitée. Il n’est en effet pas facile de s’attacher à un personnage commettant des meurtres par vengeance aveugle… D’autant que par la suite, son intérêt repose d’avantage par les possibilités de récit offertes par son point de vue que par son développement. Le moins intéressant des 3 nouveaux personnages.
Le 3ème et dernier personnage est la prédicatrice Anna Volovodov, d’origine russe. Bien qu’elle soit très humaniste et très engagée envers ses protégés, ce n’est pas une femme faible et sait se défendre si le besoin s’en fait sentir. Elle se porte volontaire pour l’expédition vers l’anneau, pour à défaut de comprendre scientifiquement son origine, arriver à l’appréhender à un niveau spirituel. Et de manière plus générale aider les hommes à intégrer les aliens dans la religion. L’arrivée de la religion est intéressante lorsqu’il s’agit de traiter des aliens, car comment en effet concilier les deux ? Si Dieu a crée l’Homme à son image, comment interpréter alors l’existence d’une race consciente plus évoluée ? Sont-ils eux aussi des créatures de Dieu ? On saurait difficilement imaginer le contraire… Dieu est-il alors un extraterrestre ? Que signifient ces épreuves alors mis sur la route de l’humanité ? Persuadée du bien-fondé e de sa mission, elle part en laissant sa compagne et leur nouveau-née sur Terre. Car elle est comme ça, Anna, du genre impulsive, à foncer quand elle pense agir pour le mieux, quitte à laisser ses proches à distance. Le sacrifice qu’elle consent, son caractère bienveillant mais emporté, l’apport du thème de la religion, aident à susciter rapidement l’adhésion, bien que son histoire commence isolément des autres et son importance dans l’histoire n’apparaît que vers la fin.
Outre ce renouvellement de personnages, on constate que globalement chaque tome est assez différent. Tandis que le 1er était plus dans le genre horreur et enquête policière, le 2ème d’avantage conflits politiques et guerres spatiales, le 3ème est une sorte de huit-clos dans un coin reculé de l’espace, où les hommes ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
Comme toujours, l’auteur parvient efficacement à nous faire rentrer dans l’action, notamment lors des affrontements à l’intérieur des murs confinés des vaisseaux, en gravité zéro, avec les bulles de sang qui se forment dans l’air (ou le vide plutôt). L’auteur nous gratifie également de belles images qui se forment dans l’esprit à la lecture de certains passages : des vaisseaux impuissants qui avancent ensemble dans la même direction, dans une paix contrainte ; l’exploration d’un édifice alien façon 2001 ; les conversations oniriques de Holden avec une entité ayant pris l’apparence du défunt Miller…
« La porte d’Abbadon » apporte quelques révélations, mais pose aussi de nouvelles questions. De quoi remettre en question la création de la protomolécule comme une arme destinée à éradiquer toute forme de vie ? En tout cas la civilisation avancée qui l’a conçue semble ne plus donner beaucoup signe de vie… Détruite par quelque chose d’encore plus dangereux ?
Plus que jamais, la mystérieuse technologie alien sévère être une formidable opportunité pour l’humanité, lui ouvrant la porte des étoiles et de possibilités d’exploration sans limite. C’est bien connu, la soif de conquête de l’homme, toujours désireux de dépasser sa condition, est insatiable, depuis la sortie des cavernes, la colonisation d’autres continents jusqu’à l’exploration spatiale. Mais dans le même temps, ces nouvelles possibilités risquent fort de mettre l’humanité en contact avec un danger pour lequel elle risque bien d’être totalement impuissante. L’hubris, un orgueil de nature divine, qui pousse l’homme à tenter de maîtriser ce qui le dépasse. Le mythe d’Icare prend donc une nouvelle actualité, l’humanité risquant fort à trop vouloir s’approcher des étoiles, de se brûler les ailes…
A la lecture des différents tomes du cycle « the expanse » (et des résumés pour les tomes suivants), il apparaît que la protomolécule est plus un moyen de traiter de l’humanité et de ses travers, qu’un prétexte à aborder des histoires de science-fiction classiques avec des batailles spatiales et de luttes contre une invasion alien. Que ce soit par l’avidité avec laquelle certains veulent s’en emparer pour obtenir plus de pouvoirs, les conflits qu’elle exacerbe entre des peuples déjà hostiles et de nature belliqueux, la peur qu’elle suscite et les réactions que cela entraîne, ou plus récemment la tendance de certains à prendre et imposer leurs décisions à autrui, sacrifiant l’intérêt global à leur propre recherche d’autorité... le portrait qui est dressé de l’humanité n’est vraiment pas flatteur et même très cynique. Car en effet les aliens ne sont encore qu’une menace diffuse tandis que les humains s’affrontent pour une raison ou une autre. A l’image d’un Game of thrones où la menace des Marcheurs Blancs est d’avantage un prétexte à aborder la guerre et les luttes de pouvoir entre des peuples très variés. L’ensemble revendique toutefois une forte part d’action et n’a pas prétention à s’aventurer dans l’espace profond mais parfois glacé de la réflexion recherchée.
C’est donc un mélange assez efficace, bien que perfectible, entre divertissement et réflexion, que l’auteur continue de mettre en œuvre dans ses livres.