Abysses n’est pas le genre de bouquin qui s’entame à la légère. 1200 pages, ça ne s’aborde pas comme 250. Cette bête considération de longueur semble superficielle, mais elle est au contraire très importante : car elle implique une profondeur du récit.
Car dans un tel pavé, l’auteur possède un luxe propre à ce genre de livre : celui de prendre son temps. De nous présenter ses personnages, de leur donner un background et une certaine complexité, et même de les multiplier. De créer une histoire plus complexe, avec plus de rebondissements et des bases solides. De nous immerger dans un récit plus détaillé et plus développé que ceux auxquels on est accoutumé.
Alors pour entamer Abysse, il faut être sûr de deux choses : d’avoir un peu de temps, et d’avoir des bras costauds (oui, parce que c’est con, mais cet confort de lecture, un pavé, c’est quand même plus lourd qu’un pocher basique, et mes avant bras me l’ont fait comprendre). Faudrait il pour autant réduire ce livre ? Le scinder en deux tomes qui auraient l’air moins indigestes ? Non. Absolument pas.
J’ai commencé Abysses au hasard. Il ne m’appelait pas plus qu’un autre dans ma bibliothèque, mais mon esprit de contradiction m’a poussé à me diriger vers un livre qui ne me tentait pas plus que cela et que j’étais certaine de devoir me coltiner un certain temps.
C’est généralement le meilleur moyen pour moi de découvrir de belles choses, et ce fut le cas ici.
Certes, le livre se perd dans quelques longueurs. Mais à vrai dire, il y en a très peu. Le retour aux sources d’Anawak m’a parut bien long mais il est bien écrit et représente un point important dans la vie du personnage. Difficile donc de le dire superflue. Seul le petit trip de la particule qu’expérimente Karen sur la fin m’a réellement parut de trop. Enfin, peut être parce que j’étais fatigué ce soir là ? Quoi qu’il en soit, le reste du roman est passionnant.
En commençant tranquillement, Schatzing nous présente à ses personnages, nous permet de nous y attacher et attise notre curiosité. Aux quatre coins du monde, la mer devient folle. Une partie de ses résidents du moins. Mais comme dans toute bonne histoire, les choses ne se présentent pas immédiatement et le lecteur est libre d’échafauder les scénarios qui lui plaisent, sentant bien que quelque chose de gros se prépare et que tout ces petits chamboulements sont liés.
Baleines aux abonnés absents, vers étrangers dévoreurs de talus continentaux, retour des baleines qui semblent vouloir se rebeller, homards tueurs, autant de manifestations d’un grand changement, d’un grand danger qui pointent le bout de leurs nez à droite et à gauche sur notre charmante planète bleu.
Personnellement, je vis en bord de mer. L’océan, je vis à côté et j’y suis habitué. Je l’aime, je prend plaisir à le contempler, mais je connais aussi ses dangers. Abysses permet d’en imaginer de bien plus terrifiants tout en restant extrêmement réaliste.
Car ce qui fait la force de ce livre, c’est que les changements qui surviennent dans l’océan, s’ils sont étranges, sont expliqués. On en connaît pas la raison exacte, mais le livre s’appuie sur de nombreuses références scientifiques qui permettent aux personnages de comprendre petit à petit ce qui leur arrive. Et lorsque le pas du « impossible mais pourtant vrai » est passé, à vrai dire, on en vient à se dire que ce n’est pas si idiot ou si impossible que cela.
De plus, le livre ne se perd pas en explications scientifiques sans fins susceptible d’ennuyer le lecteur. Bien sûr, il y en a quelques unes, mais la diversité des personnages et leurs professions rendent obligatoires des explications simplifiées. Chacun dans son domaine excelle, mais lorsqu’il doit parler à un scientifique d’une toute autre branche, c’est comme s’il parlait à un interlocuteur lambda, ce qui profite au lecteur. Celui ci pourra entrevoir la complexité des théories et des principes tout en étant a même de saisir le fond de la chose. De la science pour rendre le récit crédible oui, mais pas pour l’alourdir.
Du point de vue rythmique, le récit est également bien construit. Le début pourrait être un peu long, mais le modèle « un chapitre-un personnage » rend le tout bien plus intéressant puisqu’à chaque fin de chapitre le lecteur voudra savoir ce qu’il se passe ensuite dans telle partie du monde, dévorera le suivant et se fera avoir de la même manière en se rendant compte que finalement il a encore plus envie de savoir ce qui se passe après dans cet autre partie du monde. Les évènements se présentent un à un en différents endroits de sorte que l’on soit capable de se familiariser avec tout le monde, puis les choses passent au niveau supérieur et le rythme aussi. Il ne devient pourtant pas effréné, loin de là, mais dès lors que le lecteur se repose un peu, reprend son souffle, un nouveau retournement de situation s’effectue. Les certitudes deviennent alors plus incertaines et l’on craint de plus en plus pour la vie de ceux auxquels ont s’était attaché, l’auteur n’ayant pas peur des sacrifices pour le bien de son livre.
Un récit haletant donc, qui se doit d’être dégusté les yeux fermés. Inutile de chercher plus de détails sur l’histoire avant de lire le livre : tout le plaisir est dans la surprise. Qu’est ce qui peut bien avoir déclenché cette rébellion des océans ?
A noter que si la touche écologiste est bien présente dans le livre, celui ci n’est pas moralisateur ou quoi que ce soit du genre. Il énumère les faits et chacun est libre de se forger son opinion, y comprit sur la cause de tous ces désagréments (mais qu’elle est elle au final ?).
Un roman qui vous fera regarder la mer et les petits crabes différemment et qui tient son lecteur en haleine. Il recèle certes une ou deux longueurs ici ou là mais reste globalement passionnant et inspire à la réflexion sur l’Humanité et sa conception du monde, de l’intelligence, de sa suprématie.
NB : Après visionnage du film de Cameron, je constate certes plusieurs ressemblance. Notamment, et c'est le plus évident, en ce qui concerne le tsunami final du film. Ceci dit le livre de Schatzing n'en reste pas moins une oeuvre originale optant pour une optique différente qui, si elle rappelle Abyss, s'en détache habilement et surpasse presque le film.