Avec un titre pareil : agir non agir [sans majuscule] éléments pour une poésie de la résistance écologique il y avait de quoi s’enthousiasmer. Ce n’est pas tous les jours qu’un poète (traducteur et écrivain) de la trempe de Pierre Vinclair s’attelle à une telle tâche, celle de ramener un peu de politique dans le corps du poème et plus généralement de cette chose vague et sans bornes que nous appelons toutes et tous littérature.
À l’heure où le champ littéraire ne semble pouvoir s’enflammer que pour défendre des positions éminemment réactionnaires, qu’il s’agisse d’attaquer (harceler ?) une militante ayant décidé d’opérer un choix dans ses lectures, du changement opéré dans le titre raciste d’un roman ou encore sur les questions de l’identité de tel·le ou tel·le traductrice ou traducteur… Dans ce climat, l’ouvrage de Pierre Vinclair tranche radicalement avec un champ littéraire qui semble rétif à tout changement, sourd aux dynamiques et aux luttes sociales qui l’entourent. Il s’agira donc, dans et par le poème, d’agir ! Avec, comme fil conducteur, comme étincelle « l’écologie » ou ce que nomme l’auteur « la résistance écologique ». Même si l’intention est louable et doit être mise en valeur, il y a malheureusement des manquements.
Bien évidemment face à de telles questions la binarité n’est pas de mise, voilà pourquoi je voudrais que cet article soit plus une discussion qu’une recension, un échange qui s’articulerait d’abord autour de considérations politiques (philosophiques ?) , la seconde partie de l’article quant à elle se voudra plus « littéraire ».
ANTHROPOCÈNE VS CAPITALOCÈNE
Un manifeste prête à la discussion, aux débats, un manifeste n’est pas (for)clos, plus particulièrement quand il représente une sorte de pavé lancé dans la mare (un peu trop) tranquille de la poésie et plus généralement de la littérature. Commençons d’abord par ce qui semble avoir suscité ce manifeste et qui se trouve inscrit sur la couverture de l’ouvrage : « la résistance écologique », et plus largement la question de l’écologie.
Une première interrogation surgit, de quelle écologie (ou de résistance écologique) parle-t-on ? Dit et formulé ainsi, c’est vague, c’est creux, on peut y mettre ce qu’on veut dans l’écologie. Sans lutte des classes, sans une critique radicale du productivisme et du capitalisme, il n’y a pas d’écologie ; le concept même ne tient pas. Et c’est la plus grande faiblesse de ce manifeste, ce qui le rend inaudible et illisible dès que l’on sort de la sphère de la poésie et de la littérature. En effet, les références sont parfois peu rigoureuses. Les idées développées ne sont qu’une reprise du magma informe des discours les plus éculés, la conception de l’Anthropocène la plus partagée ; à peu de chose près celle que l’on peut trouver du côté de Wikipédia. Pas d’Andréas Malm, ici, pas de Jason Moore, pas de Jean-Baptiste Fressoz ou de Christophe Bonneuil et encore moins d’Armel Campagne? Non, on n’entendra pas parler de capitalisme, aucune occurrence du terme jusqu’à la page 154.
On préférera se masquer derrière des discours tout à fait creux et sans substance, on point alors la « responsabilité systémique » [p.11] sans nommer ce système, le capitalisme. On nous dit que « les hommes ont tout de même une prise sur le système, par la politique (…), ou le travail des associations (…). » Cette notion générique d’« hommes » est tout à fait problématique pour plusieurs raisons – que nous allons voir plus loin. Et pourquoi ne pas parler d’êtres humains ? Les femmes n’ont-elles pas un rôle à jouer ? A-t-on vraiment prise sur quoi que ce soit par LA politique ? Distinguons {la} politique du politique. La farce de la démocratie représentative tient-elle encore pour l’auteur ? Les associations ont-elles vraiment prise sur le « système » que dénonce Pierre Vinclair ?
Les luttes sociales ne semblent donc pas faire figure de la solution. Nous sommes clairement dans une perspective réformiste qui, depuis des siècles maintenant, a montré toutes ses limites.
Autre problème, on ne peut parler d’une manière aussi légère d’Anthropocène, sans même questionner le concept. Définissons-le d’abord dans son acception la plus répandue : « l’époque de l’histoire de la terre caractérisant l’ensemble des événements géologiques qui se sont produits depuis que les activités humaines ont une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre.»
Même si Pierre Vinclair tente un bref résumé en s’appuyant sur différents auteurs :
… l’activité humaine a des conséquences géologiques visibles au moins
depuis la découverte de l’Amérique et le massacre des populations
indigènes consécutif (…). Mais c’est peut-être depuis l’invention de
la machine à vapeur par Thomas Newcomen en 1712, suivie par la
révolution industrielle que les choses se sont accélérées. Ou même,
plus récemment, avec les bombes atomiques de Nagazaki et Hiroshima
(les experts de Leicester choisissent 1945 comme départ de
l’Anthropocène). p. 95
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