Bien souvent en psychanalyse, les processus psychiques sont découverts dans leur construction depuis leur dernière étape, pour remonter au fil du temps, celui du sujet, et trouver lumière sur ce qui s'est "pratiquement passé" en amont. Oui, pratiquement parce que la réalité psychique a ses failles, et son historicité aussi.
Ici se confrontent les théories de la science et de la psychanalyse, cette dernière n'étant pas considérée dans la première pour certains, alors que pour d'autres, les analystes et cliniciens souvent, tendent à démontrer des faits psychiques observables, donc objectivables. C'est la répétition, le fait de retrouver des processus psychiques similaires chez beaucoup d'entre-nous, et ce ne sont pas les comportementalistes qui pourront démonter cet argument aujourd'hui, qui fait que l'analyse peut avoir valeur de science, humaine.
Ici, René Roussillon nous propose, après un long travail sur la symbolisation, des éclairages forts solides quant aux constructions processuelles de notre identité, de notre personne. Le voyage théorique s'emboîte en deux parties. Il est constellé en seulement quinze chapitres, et nous amène à une période de vie que nous résumerons sous le terme de "primaire".
Le traumatisme primaire, l'agonie, le clivage, la reconstruction dans la transitionnalité, la violence et la culpabilité primaire (...), pour arriver à la fonction symbolisante de l'objet, à la relation entre la symbolisation primaire et l'identité ainsi qu'aux différentes phases de la symbolisation, sont les différentes "gares" auxquelles nous propose de stationner un peu l'auteur.
La qualité de l'adresse est habituelle chez R. Roussillon : elle est claire. Si l'effort est fait, comme d'autres auteurs contemporains (notamment A. Ciccone), de nous faire parvenir les questions complexes que soulèvent la psychanalyse et la psychologie clinique, c'est dans un souci de clarté, certes, mais aussi dans un soucis de transmission dont la discipline souffre depuis ses premiers temps, même si le Grand-père (S. Freud) a toujours été considéré comme un grand pédagogue ; sa lecture ne fait guère démentir cette réalité.
Il est vrai que cette lecture s'adresse aux initiés, aux étudiants, aux passionnés comme aux professionnels. Mais je pense que quiconque veut comprendre ces processus psychiques aura intérêt à lire R. Roussillon. Certes, l'obédience est (post)freudienne. Les apports de M. Klein sont inclus dans le déroulé, prenant souvent appui sur son plus grand successeur D. W. Winnicott. On peut voir ici l'influence de la psychanalyse anglo-saxonne sur celle française, W. Bion étant lui aussi largement cité. On peut aussi voir combien D. Anzieu a été précieux dans ses apports théoriques, notamment avec le fameux Moi-peau, mais pas que.
Quand on sait, toutefois, que les sociétés psychanalytiques kleiniennes et jungiennes cohabitent chez les Anglo-saxons, l'on est en droit de se demander pourquoi ceci n'est pas vrai en France. Est-ce par principe, lequel pourrait voir sa naissance dans un clivage lié à la période primaire de symbolisation de la psychanalyse ? A moins que ce ne soit par adhésion, identification, primaire celle-là aussi (?). Ces questions peuvent nourrir bien des conflits entre sociétés analytiques. Mais je ne suis pas certain qu'elles nous amènent à de positives avancées.
Le fait est que cet ouvrage est un pilier en termes clinique et analytique, vous l'aurez compris. Et m'est avis que le travail apporté ici trouvera écho dans un futur non lointain, notamment au niveau thérapeutique.