Un livre dont les critiques sont d'une telle unanimité sur un sujet aussi passionnant, ça avait de quoi m'intriguer. Tout faisait envie : le lieu choisi, l'époque de l'histoire racontée, celle à laquelle elle était écrite... et bien sûr le concept de cette secte des ismaeliens, totalement dévoués à leur chef. Tout à de quoi intriguer, séduire, évoquer un 1984 plus subtil, plus fin, vraiment philosophique.
De fait, tout y est.
La finesse du propos qui pousse la justification de la plus odieuse manipulation qui soit, à savoir donner à quelques uns l'illusion que la mort est un plaisir est parfaite. Hassan Ibn-Sabbah a construit un monde dans sa forteresse d'Alamut. Un monde où chacune de ses ouailles est une dévotion qui dépasse l'entendement. Et sans même le voir. Pour eux, il construit un monde d'illusion... pour contrer l'illusion du monde. Pour lui, "Rien n'est vrai, tout est permis". Alors il va se forger l'image d'un prophète, l'égal de Mohammed. Mais lui dispose d'un atout majeur : les clefs du Paradis, qu'il ouvre pour de rares élus qui peuvent ainsi passer une nuit avec des houris, ces vierges éternellement vierges qui réalisent les désirs les plus fous des hommes qui pénètrent dans ces lieux.
Voilà ce qu'il raconte. Et ce qu'il montre. Mais la réalité est toute autre : ce paradis, ce sont des jardins spécialement aménagés par ses soins derrière la forteresse. Ces houris, ce sont des jeunes femmes achetés sur des marchés aux esclaves.
Mais pourtant, tous ces jeunes hommes tombent dans le panneaux. Tous, y compris les plus perspicaces, sont forcés de croire que cet hommes, Ibn-Sabbah, celui qui se fait appeler "Seïduna" ou encore "le Vieux de la Montagne" leur a bien ouvert les portes du paradis.
Son plan est parfait. La raison encore plus parfaite : Alamut est une histoire de vengeance et de complots politiques. Une partie d'échecs entre les plus grands du monde arabo-persan, où Hassan Ibn-Sabbah utilise ses pions d'une main de maître, en leur faisant croire que tout cela est une question de foi religieuse. Rien n'existe, tout est permis, alors apporter le bonheur dans la mort, c'est apporter avant tout du bonheur. Une illusion comme un autre dans ce monde rempli d'illusions.
Puissante critique des régimes fascistes de son temps, Bartol réussi le tour de force de placer son environnement bien loin des terres d'Europe pour accomplir dans la métaphore un profond cri de liberté, et l'avertissement sur les dangers que représentent ceux qui nous alimentent en rêves et en belles promesses comme jadis, le Vieux de la Montagne enivrait ses feyadin de religion et de hashish. Les mêmes illusions, pour les mêmes carnages.
Mais malheureusement, tout ceci ne lui permets pas d'échapper à des faiblesses dont le récit va sortir violemment diminué...
Alamut est en lui-même une illusion. On nous présente un roman ? C'est une métaphore politique. On nous présente des personnages qu'on penses être principaux ? Ce ne sont que des jouets du réel protagoniste de l'oeuvre, qui n'est autre que Hassan Ibn-Sabbah.
Le premier chapitre est consacrée à l'arrivée de la jeune Halima dans le harem du maître de la forteresse. Va-t-elle jouer un rôle important pour la suite du roman ? Non. Elle reste naïve, arrogante, et si on croit qu'elle va découvrir quelque chose, c'est pour sombrer encore plus dans sa naïveté. Elle fini par tomber amoureuse de l'un des guerriers victimes de l'illusion d'Hassan, et comprenant qu'elle ne le verra plus, elle se tue. Fin de l'histoire pour elle.
Ibn Tahir alors ? Lui a tout du jeune héros d'un roman d'apprentissage. Il jeune, fort, perspicace (soi-disant), particulièrement doué pour les mots et sors du lot de ses camarades. Mais il s'en va sans demander son reste.
Il est le premier qui sera chargé d'une mission d'assassinat. Réussissant son coup, il est tout de même convaincu en quelques minutes par sa victime agonisante qu'on le manipulait depuis le début. Sans jamais remettre la parole de l'ennemi juré de son maître en question. Non seulement il le croit, et cours alors se venger. Et quand il arrive auprès du manipulateur en question... il se laisse à nouveau convaincre en quelques mots, et part faire des études lointaines.
La structure du récit, sur ce plan, pêche vraiment. L'aspect romanesque est une boule fumée pour cacher le simple discours philosophico-politique. Fascinant, certes. Mais a ce petit jeu, si le philosophe, la littérature, elle, y perd beaucoup.
En toute franchise, un peu déçu. Mais ça reste malgré tout une oeuvre à lire, dont la profondeur dépasse de très loin George Orwell.