Novella assez brève (30 ou 40 pages en « Pléiade »), Allen est la meilleure surprise que m’ait réservée ma découverte des Œuvres de Larbeau. La prémisse narrative est simple, voire dénudée : cinq amis partent en voiture vers un coin de province au centre de la France, dans l’ancien Bourbonnais. Ils cheminent et échangent — ils ne font même qu’échanger, puisque le « récit » est en fait un long dialogue, dans lequel les phrases s’entremêlent, sans être attribuées à l’un ou l’autre des personnes (bien que, insiste Valéry dans la postface, le lecteur attentif les reconnaîtra facilement), dans un ensemble assez éloigné des habitudes du lecteur de romans.
Allen, avec beaucoup de légèreté, est doté d’un grand charme : celui du bavardage plaisant des amis en vadrouille, qui moquent gentiment la province et l’esprit provincial, avec l’insouciance leste dans la moquerie qu’on rencontrait encore au début du XXe siècle (Valéry, encore une fois dans sa postface, note que la novella a parfois été éreintée par des journalistes peu attentifs comme une pièce de satire anti-provinciale… que n’aurait-il pas enduré aujourd’hui ? Une tribune dans Le Monde de sociologues et géographes stigmatisant son mépris social et son esprit ségrégationniste ? Les banderilles d’un fieffé local fâché de voir son Clochemerle cité sans égards ?).
Néanmoins, Allen n’est pas méprisant vis-à-vis de son objet ; au contraire, on y rencontre à la fois une douceur et un sens de la description (comme cette évocation des villes du bord de Loire, qui rappelle le regard apaisé et curieux d’un Cingria dans les mêmes lieux) et même le burlesque de ces “voyageurs en terre inconnue” décrivant l’hors-Paris à la manière d’ethnographes. Plus étonnant, mais sans jurer, on trouve une étonnante aspiration à l’idéal, qui jaillit de cette balade inoffensive dans le Bourbonnais, et qui donne notamment lieu à une étonnante préfiguration d’un continent européen confédéral (étonnante car elle dépeint, jusque dans son enthousiasme, les actuels travers de l’Union européenne). En résumé, un objet littéraire curieux, qui lie avec succès plusieurs teintes émotionnelles pastel assez rares dans le roman.