Il y a une part de moi qui veut brûler ce livre, qui a été extrêmement dur à finir. La violence et la pornographie montent crescendo, et à chaque scène je me répétais "je gère, je gère", pour ne plus du tout gérer les images atroces qui s'imprimaient dans mon cerveau. Mais il y a aussi une part de moi qui a toujours voulu persévérer, comprendre, connaître la fin. Beaucoup de passages sont ennuyeux mais servent une intrigue : les repas mondains sans autre enjeu que d'être vu et envié, les discussions absurdes et creuses de connards imbus, les plats gastronomiques plus absurdes les uns que les autres, la litanie des marques qui revient comme un TOC. Une toile de fond qui avance peu, hormis les scènes de psychose de Bateman : tout le monde est vain, creux, court après le dernier resto à la mode et personne ne travaille vraiment.
J'ai vraiment hésité à continuer le roman par moment, car la violence gratuite, c'est pas trop mon délire.
Je voulais lire American Psycho pour la description du glissement psychotique, un peu comme Le Démon de Hubert Selby Jr. que j'avais trouvé incroyable. Mais Bret Easton Ellis, à part dans quelques rares passages, prend le partie de nous peindre un personnage qui s'interroge assez peu sur ses actes. C'est sûrement le propre d'un psychopathe ceci dit ! Finalement, ce sera plus dans ses agissements de plus en plus erratiques, qu'on comprend que derrière la façade du golden boy, souriant (mais sanguinaire), il ne va pas bien. Et je trouve que c'est un petit tour de force de l'amener aussi subtilement, même si ça a heurté mon petit cœur de psychologue du dimanche qui voulait comprendre ce que Bateman ressent (rien, c'est bien le souci). //spoilers ahead//
Ensuite, il y a le basculement qui moi m'a permis de continuer l'apnée dans ce bouquin : et si Bateman délirait total ? Et si il n'avait jamais tué tous ces gens ? Easton Ellis dépeint une société désespérante où tout le monde est interchangeable, où personne ne s'écoute, où tout le monde parade dans des costumes de théâtre griffés Haute Couture. Jean est le seul îlot d'humanité de ces 500 pages, c'est finalement la seule à ne pas être une sociopathe dans ce monde d'arrivistes. Et elle sera la seule à savoir baisser la garde de Bateman. L'épisode de déréalisation de Bateman avec la course poursuite et le SWAT qui intervient est un tournant dans ma lecture : la narration chaotique à la troisième personne, la succession de scènes délirantes, la confession à l'avocat (qui ne le croit pas)... et le dîner mondain qui suit juste après. Une façon magistrale de donner à voir le malaise sans l'exprimer.
On nous laisse en fait le choix dans les nuances qu'on veut apporter à l'histoire : le divertissement où Bateman est juste un énorme taré et la société qu'il décrit un microcosme rigolo à découvrir, ou la fable morale, où rien n'a de sens, tout est chaos et chacun peut déployer ses plus bas instincts sans être inquiété.
Moi j'ai choisi une lecture 70% moraliste, parce que sinon je claquais à la 400e page : je veux croire que Bateman n'a pas commis tous ces actes, que c'est une voix interne, une petite soupape dans son cerveau, qui imagine les pires horreurs pour supporter sa condition. Qui n'a pas rêvé de voir son rival souffrir ? Easton Ellis nous montre une version caricaturale et extrême de cette volonté de puissance que tout le monde a un peu au fond de soi. Mélangé avec l'hédonisme carnassier des années 80, ce besoin de contrôle dans un monde indifférent et déshumanisé prend des dimensions grotesques.
American Psycho est un livre grotesque, qui exagère les boursouflures de l'Amérique moderne. Ca n'a pas été une partie de plaisir à lire, mais ça m'a fait énormément réfléchir sur la façon de témoigner d'une époque en utilisant la parabole. Peut-être que je ne vais pas le brûler finalement.