"Ana croyait avoir le droit au rêve parce qu'elle ne demandait que 24 heures par jour à la vie"
Ana Paücha, autoproclamée Ana non car elle ne connaît plus que des « jamais » décide de quitter sa maison d’un petit village côtier d’Andalousie pour aller voir son fils en prison dans le Nord. Elle prend pour unique bagage un pain aux amandes, huilé, anisé et fortement sucré (un gâteau dirait-elle) , pain-espoir qui l’accompagnera jusqu’au bout de son voyage, allégorie de ses rêves, ses désirs. Pain-personnage qui vit et souffre autant qu’elle de ce long voyage à la rencontre du dernier Paücha, le petit, puis de la mort. Ana non entreprend ce voyage pour mourir. Car elle n’en peut plus de pleurer ses trois morts à la guerre – son mari et ses deux fils aînés – ni d’attendre en vain son dernier fils, le petit, en prison à perpétuité. Presque mort aussi, dirait-elle. Elle veut le revoir une dernière fois avant de quitter ce monde. C’est ça qui la tient debout.
Ana non ne connaît pas sa géographie, ne sait ni lire ni écrire. Elle va voir son fils dans le Nord alors elle suit la voie ferrée, son seul moyen de s’orienter. Terrible voyage que l’on vit avec elle sans savoir si et quand il se terminera. Car l’auteur se garde bien de nous dire où il est, ce Nord. C’est à peine si l’on sait, au prix de maigres indices où Ana non se trouve dans cette Espagne franquiste. Mais qu’importe de savoir où elle est puisque l’on ne sait pas où est son Nord. Comme elle, en somme. On sait juste qu’elle avance, inlassablement, pas après pas, convaincue qu’elle arrivera au terme de son voyage car elle ne doit mourir qu’une fois qu’elle aura revu le petit et lui aura offert son pain aux amandes, huilé, anisé et fortement sucré (un gâteau, dirait-elle).
Voyage de l’obsession, voyage fait de rencontres et de découvertes pour Ana non qui n’avait jamais quitté son village natal. Voyage dans son passé au fil de ses souvenirs, de ses rêves aussi, qui à force d’être rêvés sont eux aussi devenus sa mémoire. Voyage de poésie, rencontres tantôt bienveillantes tantôt hypocrites mais qui, toujours, poussent Ana non vers son Nord comme si une force invisible – est-ce sa mort ? – la remettait sur son chemin car on l’attend là-bas.
Un beau portrait de femme en même temps qu’une évocation sans concessions de l’Espagne franquiste, à travers les yeux de celle à qui la guerre a pris ses 4 hommes.