Je l'ai lu pendant la sieste des petites-sections (je bosse dans une école) car je ne voulais pas troubler leur sommeil avec les ondes démoniaques de l'Heathcliff des Hauts de Hurle-Vent que je lisais à ce moment-là.
Dans cet André Breton, on trouve de belles analyses sur l’œuvre de Breton (on s'en serait douté) et, au-delà, sur les enjeux du surréalisme. Gracq reprend notamment à son compte (tout en les dépassant) les modalités de l’analyse symbolique bachelardienne pour penser le “magnétisme” esthétique à l’œuvre chez Breton : « Le magnétisme secret de Breton est dans cet index tendu vers un point de fuite qui dévore le paysage, mais peut-être aussi à lui seul, d’une manière profonde, le fait vivre, de la seule vie qui mérite pour Breton d’être vécue, la vie à “perdre haleine”. ».
Après avoir montré, non sans cynisme, la prolifération du “journal” en tant que genre dans la littérature de son temps, il montre les distances radicales que prend Breton avec le genre : loin de donner à lire sa vie en tant qu’il la mène, lui - comme cela est de rigueur dans les journaux - des œuvres comme Nadja ou Arcane 17 donnent à lire l’image d'une vie telle qu’elle serait menée malgré lui d'un ailleurs.
« Au milieu de ces vagues “ballots de nuit” où son existence quotidienne se traîne sans plus ni moins de cohérence qu’aucune autre, c’es toujours par rapport à un certain nombre de grandes constellations fixes – l’amour, le hasard, le rêve – qu’il tente de noter sa position, qu’il a le sentiment de subir l’aimantation, de jouir, au milieu de la pure solitude, d’ “invraisemblables complicités” – c’est toujours avec elles qu’il tente d’établir par on ne sait pas trop quelle correspondance des signaux croisés, un jeu de références continuelles. Bien loin de filer de ses sécrétions mentales un cocon douillet, d’étouffer en l’isolant dans cet air confiné l’impossible chrysalide de l’homme en soi, il ne souhaite plus être qu’empreinte en creux des hasards de la grande aventure – “homme foudroyé aux pieds du sphinx” – au lieu de l’homme abstrait, il ne cherche plus qu’à donner la seule image de l’homme aux prises, non avec un danger à sa faible taille (“l’homme, quel qu’il soit, m’étant un médiocre adversaire”) mais avec les puissances exorbitantes qui le malaxent et qu’il magnifie instinctivement du nom de fatales. »
C’est de ce magnétisme de l’imaginaire qu’émerge le caractère épique du surréalisme bretonien qui questionne, par ricochet, la question des limites de l’homme et de leur dépassement.
Le dernier chapitre sur le style bretonien permet à Gracq de revenir sur sa définition du style, conçu comme « écartèlement continuel entre deux exigences » : l’expression – transcription fidèle d’une pensée (s’il en est, de fidèle, de pensée) et la communication (chargée d’affects). C’est bien sûr à la seconde que Breton donne sa langue, à cette parole vibratile et ondulatoire qui s’étend, se répand en sensibles variations.
Tout le travail de son œuvre est une recherche pour rendre « une pensée entièrement sensible », la ramener à un état naissant. C'est sur ce point que Gracq rapproche le surréalisme du bergsonnisme : tous deux reposent sur « un acte de foi dans la supériorité de la pensée consciente » - pensée considérée comme « en état perpétuel d’éveil et de naissance » - par rapport à « la pensée caporalisée par les concepts et remise au pas des règlements logiques ».
Un bien bel ouvrage-hommage pour qui est déjà familier, non tant de ses poèmes, que des oeuvres hybrides que sont Nadja, Les Vases communicants, L'Amour fou ou Arcane 17.