Les Animaux comme autant de narrateurs d'une incroyable chasse à l'homme.
Dramaturge et comédien Libano-Canadien, Wajdii Mouawad s'essaie pour la 2e fois aux romans et signe, après 10ans de recherches et d'écriture, une franche réussite littéraire avec ANIMA.
Un soir, Wahhch Debch rentre chez lui et découvre le cadavre de sa femme. Eventrée. Violée dans sa plaie. Sauvagement arrachée à la vie tout comme l'enfant qu'elle portait en elle. Wahhch décide de partir à la recherche du meurtrier. Il en a besoin. Il doit voir le visage de celui qui a massacré son épouse. Il apprend que le tueur serait un amérindien et qu'il se serait caché dans une réserve à la frontière américano-canadienne. Voici donc notre protagoniste principal embarqué dans une implacable chasse à l'homme.
Ce qui rend Anima si prenant c'est sa narration. Ici ce sont les animaux; fauves, félins, poissons, volatiles ou insectes qui content le voyage de Wahhch. Ils le font à travers le regard qui est le leur. Chaque espèce, chaque animal, chaque narrateur plongera le lecteur dans une vision toujours différente. Une vision où ce sont les narrateurs qui expriment leur ressentiment. Dans une cafétéria miteuse sur l'autoroute, c'est un rat qui hésitera à se rapprocher pour mieux voir l'action de peur d'être découvert et de mettre en péril ses congénères. Une araignée sera partagée entre le désir d'apercevoir le regard faïencé et captivant de Wahhch et l'envie d'aller se repaitre du moucheron pris dans sa toile. D'ailleurs on aura aussi droit au point de vue du moucheron.
Vous l'aurez compris, plus qu'une chasse à l'homme à travers l'Amérique du Nord, c'est également un voyage dans le monde animal qui nous est offert avec cet ouvrage. Une fois le mécanisme de narration assimilé, on prend un plaisir non feint à découvrir le monde via le regard des animaux. Ces derniers peuvent se montrer cruels et sauvages mais sont également capables de déceler avec clairvoyance la nature profonde des hommes. Il est intéressant de ressentir l'amour d'un chien pour son maître, les dernières pensées d'un cheval qui va être conduit à l’abattoir ou encore le regard perçant d'un charognard assistant de loin et tapi dans l'ombre à la mise en terre d'un corps.
Cependant ce procédé narratif, bien qu'original, n'est pas exempt de défauts. En multipliant les points de vue on perd en rythme. Et c'est dommage. Par moments on en vient presque à se demander quel est l'intérêt du chapitre. Les animaux sont là pour narrer le voyage de Wahhch et quand ce dernier ne fait rien d'intéressant il aurait été plus judicieux de ne rien écrire. Bon, là j'avoue que je chipote un peu et ces passages "too much" doivent représenter au maximum 50pages sur un livre qui en compte environ 380. Mais je me devais de préciser ce qui apparait pour moi comme le seul défaut de ce livre. Défaut qui fait d'autant plus rager qu'au delà de la traque de l'assassin il y un étrange mystère qui plane autour de Wahhch et de ce fait ces quelques passages HS ne font que nous en éloigner.
Comprenez bien que le paragraphe précédent a pour unique but de m'empêcher de coller un 10/10 à cette oeuvre. Anima est un réel coup de coeur. Un réel voyage. Un voyage éprouvant où la bonté côtoie la cruauté. Où l'amabilité des uns s'oppose à la sauvagerie des autres. Où la lumière sera mise à mal par l'obscurité et la noirceur. Où l'histoire d'un homme s'imbriquera dans l'Histoire des Hommes. Fort d'une narration forte, d'une empathie croissante pour le personnage troublé et troublant de Wahhch Debch, de notions d'histoire bien senties et de scènes poignantes dont la beauté n'a d'égal que leurs cruautés; ANIMA est un livre que je ne peux que vous conseiller.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.