Dur. Violent. Poignant. Voilà ce qui ressort d’Anima. Wajdi Mouawad est essentiellement connu pour ses pièces de théâtre, notamment Incendies grâce à son adaptation cinématographique. Avec Anima il prouve qu’il est aussi un auteur de roman remarquable, doté d'une écriture en adéquation parfaite avec le propos : mesurée, mais aussi distanciée pour donner encore plus de profondeur au récit. Tout est pesé, chaque mot à sa place, rien n’est laissé au hasard sans que ce contrôle ne freine la lecture, au contraire.
Anima est porté par une narration originale : vue à travers les yeux d’animaux. Oiseaux, chats, chiens ou rats relatent tour à tour l’histoire de Wahhch Debch. Et ce n’est pas une simple lubie d’écrivain puisque ce choix a un sens profond qui se dévoile petit à petit au fil du récit. La narration inédite éloigne vite de ce qui pourrait, si l’on ignore la bibliographie antérieure de Mouawad, faire croire à un polar. Oui, tout débute par le sang et dans l’horreur la plus folle avec la découverte du corps de Léonie, la femme de Wahhch Debch. En bon réflexe de lecteur on désire découvrir qui est le meurtrier. Mais l’intérêt du livre ne réside pas là, le mystère est d’ailleurs bien vite levé. L’essentiel est ici la quête de soi, des origines, comme souvent dans les œuvres de Mouawad. Pour Wahhch, le meurtre sordide de Léonie constitue un élément déclencheur sur le point de faire renaître en lui des cauchemars insaisissables.
Le lecteur suit alors la plongée de ce Canadien d’origine libanaise dans les enfers du monde et de son passé. L'histoire familiale est au cœur de l'œuvre de Mouawad. La violence est omniprésente. Dès les premières pages où sont décrites les circonstances de la mort de Léonie. Pourtant, même dans les descriptions les plus terribles –Mouawad n’épargne rien- jamais l’auteur ne fait du trash pour faire du trash. Car aussi horribles soient certains passages, ils restent somme toute d’une cruauté plus frappante encore parce qu’imaginables en réalité. Et ce d'autant plus que la narration, à travers les yeux des bêtes qui suivent Wahhch, donne encore davantage d’objectivité à ce récit. Parallèlement à des passages d’une dureté extrême, cette narration permet aussi de faire ressortir la beauté criante de certaines pages, comme un hommage à la nature, bien plus humaine finalement. Loin de la bestialité des hommes.
Il est difficile de ressortir d'Anima. Une impression de vide se fait jour après avoir subi le choc de certains passages. La quête de Wahhch s'achève dans la violence, mais également à l'orée d'un nouveau pan de vie. Catharsis.