Anna Karénine par legueuloir
L'amour, voilà le thème d'Anna Karénine ! L'amour sous toutes ses formes, pourrait-on même dire. Ici se mêlent trois couples, trois histoires différentes, toutes cherchant le bonheur absolu qu'est censé créer l'amour. Mais par quel moyen ? C'est ce que décrit le livre : la quête de l'infini, du bonheur conjugal et de l'amour.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Anna Karénine n'est pas le personnage principal. Elle n'est qu'une facette, celle du stéréotype de la femme noble russe, qui est mariée à un homme trop vieux qu'elle haït et qui se morfond dans une vie trop plate. Heureusement, il y a les bals, là où elle s'affiche en femme libérée, où le Monde l'admire, elle et sa beauté éblouissante. Et pourtant, c'est ce Monde, qui va causer sa perte. Peut-être à cause de sa trop grande perfection, de sa trop haute exigence, et surtout, de son conservatisme.
C'est là, qu'Anna va rencontrer le Comte Vronski dont elle va tomber amoureuse. C'est là, qu'elle va être critiquée et bannie. C'est ce Monde-là que critique Tolstoï. Si la fin d'Anna est tragique, c'est parce qu'elle devait être ainsi. En jetant son dévolu sur Vronski, en lui donnant sa vie, une fille et son amour, elle lui donne aussi sa perte. Leur couple ne pourra pas être heureux. Le jugement mondain est trop important. Pour Anna qui est finalement délaissée, cette sortie du monde est un exutoire. La vie ne peut qu'être meilleure de l'autre côté pour elle.
Ensuite il y a Lévine, le meilleur ami du frère d'Anna. Lévine lui incarne une autre facette de l'amour. Il est quelque peu tourmenté, n'aime pas le Monde et est amoureux de Kitty, qu'il va finir par épouser. Pour lui, l'amour c'est créer un foyer avec la femme qu'il aime, à la campagne, retiré de l'agitation de la ville, cultivant ses terres. Mais, comme Tolstoï lorsqu'il écrit son livre, Lévine est submergé par ses réflexions inachevées sur le sens de la vie et de la mort et sur la relation des êtres humains avec l'infini. Il a peur d'être heureux car il sait qu'il ne le sera pas. Grâce à Kitty, il réussit à trouver le bonheur.
Pour finir, la troisième facette de cet amour, c'est celle du couple Stépane-Daria, qui est déchiré par les infidélités du mari et de la passivité de la femme. Cet amour est révolu, et a laissé place au conflit et au malheur. La condition de la femme est alors scellée dans une vie triste dans un tunnel sans fin, qui n'aboutit en général qu'à la mort.
Si Anna et Lévine croisent à peine leurs chemins dans le livre, c'est parce qu'ils sont a eux deux un seul personnage antithétique, et que leur destinée n'est pas leur rencontre, mais une évolution des plus singulières. Ils forment l'esprit de Tolstoï, qui ne fait que tergiverser dans le seul but de trouver l'exigence de vérité et l'amour.
On lui a d'ailleurs reproché de ne pas avoir fait se rencontrer plus souvent ces deux personnages, qui sont pourtant apparentés, ce qui rendrait l'architecture du livre bancale. Il s'en est expliqué ainsi: « Je suis fier au contraire de son architecture, les voûtes se rejoignent de telle manière qu'on ne remarque pas où est la clef... »
Le final du roman inscrit donc le vrai amour triomphant selon Tolstoï, celui de la femme mariée par amour, construisant son foyer loin de la société mondaine, où l'homme est épanoui au milieu de la nature. En effet, il reproche l'occidentalisation de la Russie qui devient peu à peu progressiste et qui s'appuie trop sur l'occident. La femme moderne qu'est Anna représente le devenir de la Russie, ce que redoute Tolstoï.
Le style iconoclaste nous envoûte, nous fait vivre un moment unique et privilégié. On ne s'ennuie pas, même si ce livre est long. Cette longueur peut nous dissuader, mais ce serait faire une énorme erreur. TolstoÏ n'est pas un maître de la littérature pour rien. On la reconnaît, cette âme russe. Elle est omniprésente, nous emporte au cœur des évènements, nous réchauffe, nous émeut, nous fait palpiter, et par dessus tout, nous marque à jamais. Chaque mot est une couleur chatoyante qui créé une harmonie. Si la neuvième symphonie de Beethoven avait une suite, ce serait sûrement un roman russe.
Anna Karénine, est, par son style et sa splendeur, un des plus gros joyaux de la littérature russe, à lui-même une mosaïque multicolore de la Russie à la fin du XIXe siècle.
Cette fresque romanesque marquera les esprits de plus d'un, et ne nous laissera pas ignorant face aux malheurs que peuvent causer, comme le dit si bien Pierre Choderlos de Laclos, une seule liaison dangereuse.
Oscar