La tragédie
L'histoire contient en elle-même le ressort tragique : une soeur condamnée à braver la loi pour enterrer son frère, au nom du devoir moral. En somme la pièce de théâtre oppose la moral étatique, la raison pratique, à celle du sentiment. C'est quasiment une opposition philosophique qui oppose Créon, le roi, à Antigone. Mais, Anouilh réactualise considérablement la tragédie en cristallisant son essence même. Il l'universalise. Cette histoire d'injustice, il l'écrit à un moment où l'État et l'individu devenaient deux entités inconciliables, en 1944. Et pourtant tout s'apparente à la tragédie classique : monologue, dialogue de sourds, inexorable condamnation et temporalité.
Simple et sobre
Anouilh donne une nouvelle jeunesse à la tragédie en épurant son style. Il interroge qui plus est, de manière beaucoup plus forte, la psychologie des personnages, en fait presque la psychanalyse et souligne l'absurdité de la situation. Pétri d'idées modernes, cette réactualisation d'un vieux mythe est exceptionnelle. Portée par le franc parler et la témérité d'Antigone, la pièce permet de faire émerger simplement la tragédie et l'inexorable mort de l'héroïne. Héroïne, qui a bien plus d'épaisseur sans pour autant perdre de sa hauteur, que dans la tragédie classique, puisqu'on perçoit en elle le doute, la tristesse, la jeunesse et la passion qui s'emballe. On peut dire que la pièce fait l'exploit d'expliciter la pensée des personnages et leur moi profond par le simple dialogue. Au fond, cette modernité est tellement grecque, tellement platonicienne qu'elle colle parfaitement à son sujet qu'elle sublime.
Interrogation politique
Mais, il faut remettre cette pièce dans son contexte. Écrite durant la guerre, on est obligé d'y voir une portée politique importante. Et pour preuve, le personnage de Créon occupe une place toute particulière. Il s'interroge lui-même sur la manière d'être un bon roi, de bien gouverner, sur le bien public. Il sait que sa décision est injuste individuellement, mais juste collectivement et qu'elle est nécessaire. C'est la responsabilité d'État contre la responsabilité individuelle. Sa morale politique l'oblige à condamner Antigone. Au fond cette Antigone n'est-elle pas une résistance face à l'oppression mais l'État est-il pour autant illégitime dans cette intransigeance, n'a-t-il pas raison ? Cette impossibilité de trancher est exactement le tenant de la tragédie. Chacun, quelque part à raison, et chacun quelque part, à tort. Sauf qu'Antigone perd tout et Créon pas grand chose. Ainsi, s'opère avec Anouilh, le basculement d'une tragédie héroïque vers une tragédie politique.
Un livre magnifique, montrant l'absurdité et la bêtise humaine, s'interrogeant sur la politique, sur la morale et cherchant les raisons psychologiques aux failles des personnages. Une structure classique et un style renouvelé. En somme, Anouilh c'est la synthèse de la tragédie antique et de la modernité du XXème siècle.