De l'obstination

Les frères Polynice et Étéocle, fils d'Œdipe, se sont disputés le trône à Thèbes, et se sont tous deux tués en duel. Créon a donc pris le pouvoir sur la cité. Il fait faire les funérailles d'Étéocle, mais refuse toute sépulture ou honneur à Polynice (la raison est qu'il aurait été antipatriote), ordonnant de laisser son cadavre se faire manger par les corbeaux, et menaçant de mort quiconque l'enterrerait. Or, Antigone, sœur d'Étéocle et de Polynice, enfreint la loi de Créon...

La pièce Antigone de Sophocle est donc une œuvre de la rébellion contre une autorité injuste. Ainsi, tour à tour, les personnages Antigone, Ismène et Hémon refuseront la tyrannie de Créon. Le dialogue entre Hémon et Créon est particulièrement fort selon moi : est révélée l'injustice de l'attitude de Créon, qui refuse en bloc toute contradiction, en appelant justement à son autorité ; un fils n'a pas à contredire son père, le dirigeant de la cité n'a pas à laisser décider le peuple. Il s'obstinera le long de la pièce, avant une volte-face à la toute fin, mais lorsqu'il sera trop tard.

La caractérisation est d'ailleurs le grand point fort d'Antigone selon moi. Les personnages sont différents mais ils ont un point commun : ils sont obstinés. Dans leurs idées, dans leurs actes, dans leurs passions, ils vont jusqu'au bout. Tellement que l'intrigue ne trouvera que la mort de nombre d'entre eux pour purger toutes ces passions : la catharsis est vraiment intense dans cette œuvre. On comprend d'ailleurs pourquoi Jean Anouilh reprendra l'histoire d'Antigone pour représenter la lutte de la Résistance contre les vichystes. La pièce montre bien les dangers d'un pouvoir autoritaire qui n'accepte pas la contradiction et trouve comme réponse d'écraser ses opposants : seuls des malheurs peuvent aboutir. On est bel et bien sur une pièce politique chez Sophocle : Est-ce nécessaire de constamment désigner un ennemi ? Aujourd'hui encore, à peu près 100% des doctrines politiques reposent sur la désignation d'une personne, d'un groupe, d'une classe sociale comme haïssable. Devant Créon, Antigone aura cette formule simple : Je suis de ceux qui aiment, non de ceux qui haïssent.

Néanmoins, l'opposition dans le texte manque probablement un peu de piment. Si les dialogues sont intéressants, ils demeurent assez convenus, un personnage répondant simplement à l'autre par ses arguments. J'aurais aimé que la tension ressorte encore plus, c'est dommage de ne pas être allé plus loin sur cet aspect-là.

Antigone n'en reste pas moins une belle pièce tragique de l'Antiquité grecque, et ce n'est pas pour rien qu'elle a passé à ce point l'épreuve du temps (elle a tout de même 2400 ans !).