Au moment où je commence à écrire ces lignes, j’ai finalement reposé The Armageddon Rag, de Georges R.R.Martin, il y a cinq minutes. Oui, ce Georges R.R. Martin. Pour la plupart des gens, c’est l’auteur de la série Game of Thrones; pour moi, c’est l’auteur de The Armageddon Rag.
Ce livre, c’est l’histoire d’une mort brutale: celle du chanteur Patrick « Hobbit » Hobbins du mythique (et fictif) groupe Nazgûls, le 20 septembre 1971 lors du concert de West Mesa, non loin d’Albuquerque, et à travers lui, celle des Sixties.
Le protagoniste, Sandy Blair, y était. Journaliste, contestataire, impliqué dans la contre-culture, il a assisté en direct à l’assassinat du chanteur par un tireur inconnu. Dix ans plus tard, devenu écrivain modérément connu, le voici qui replonge dans cette époque en enquêtant sur la mort de l’ancien manager du groupe, qui semble reliée à un projet de reformation du groupe.
The Armageddon Rag, c’est un bouquin qui s’articule sur trois axes interdépendants. Tout d’abord, c’est un hymne aux Sixties, au Summer of Love et à tous les mouvements alternatifs, hippies et autres, nés alors. Les vrais héros, c’est un peu la jeunesse de l’époque et ses idéaux, même si le portrait est plus que contrasté par les renoncements et l’arrivée des années-fric.
Ensuite, c’est la musique. Le rock de l’époque, psychédélique, engagé, hargneux. « La musique du diable », disaient alors les institutions morales. Et là, Martin arrive à complètement nous immerger dans cette ambiance: tournées, instruments, paroles, listes des titres et même pochette des albums, il nous fournit une biographie plus vraie que nature des Nazgûls. Pour un peu, on pourrait faire leur page Wikipedia.
Mais c’est aussi une descente hallucinante et hallucinée dans un univers où réel et fantastique se mélange, où les drogues font tomber les barrières entre le rêve et la réalité. Une époque où tout était possible, le meilleur comme le pire. Les morts se réincarnent, les rêves apportent des visions de l’avenir et du passé, le mythique morceau « Armageddon Rag » pourrait amener la fin du monde. Le fantastique est là, à portée de la main – peut-être…
J’ai dû lire The Armageddon Rag pour la première fois il y a vingt-cinq ou trente ans. Le fait que je m’en souvienne encore après tout ce temps est une indication de l’impact que ce bouquin a eu sur moi, même si ce n’est pas vraiment mon époque musicale (je vous échange volontiers deux barils de Doors contre un de Genesis période Gabriel). Un impact qui m’est revenu récemment avec certains concerts du Night of the Prog et m’a inspiré partiellement la nouvelle Les sons impossibles.
Du coup, j’ai quelque peu appréhendé sa relecture avec inquiétude: et s’il n’était pas à la hauteur, si j’avais nostalgifié, moubourré par mes propres souvenirs? Eh bien non: trente ans plus tard, j’ai trouvé The Armageddon Rag aussi bon, sinon meilleur qu’à l’époque.
Il part sur un faux rythme d’enquête policière, bifurque sur un trip nostalgique, puis se lance à corps perdu, à partir de la moitié du bouquin, dans le récit de la tournée du groupe reformé, vers sa conclusion apocalyptique. On pourrait croire que la première partie est plus faible, mais elle est nécessaire pour poser l’ambiance et les motivations de Sandy, balloté entre ses idéaux passés et son cynisme. C’est aussi un bouquin qui règle ses comptes avec le concept de « maturité ».
Bon, je ne vais pas vous la tartiner plus longtemps: il est clair que je suis en plein trip (littéraire, s’entend) « sex, drugs, magic and rock’n’roll » (cf. Perkeros), mais même sans cela, je suis à peu près certain que The Armageddon Rag est un des meilleurs bouquins qui n’ait jamais été écrit sur le rock et sur son impact sur la vie de ses fans.
Cédric Ferrand en disait qu’il vous rend nostalgique d’une époque que vous n’avez pas connue, je pense pour ma part qu’il va même au-delà de cela: il envoie bouler la nostalgie et montre à quel point on a encore – surtout! – besoin aujourd’hui de l’esprit des Sixties et de la puissance de la musique.