Je viens de finir Armaggedon Rag, un livre de Georges RR Martin, écrit bien avant le succès de Song of Fire and Ice (le Trône de Fer, dans les « splendides » traductions françaises). Cela faisait longtemps qu'un livre ne m'avait pas fait entendre de la musique.

Oui, je dis bien entendre... Il n'est pas un chapitre qui ne se réfère à l'une des chansons de cette époque, ces années 60, ce début des années 70, la période de l'Eté de l'Amour, de San Francisco et de Woodstock. Et quand j'ai lu ce livre, et bien les musiques sonnaient dans ma tête alors que le texte se déroulait sous mes yeux.

Et, l'air de rien, cette histoire nostalgique, cet hommage que rend Martin à sa jeunesse m'a renvoyé moi aussi à la mienne, aux soirées, aux amis, bien que les références musicales soient différentes. Quand Martin cite « those were the days », je pense que chacun, un jour ou l'autre, en regardant derrière lui, a un sourire et hoche la tête, en accord total avec les mots de cette chanson.

Quand j'organisais une soirée chez moi, au temps de mes études, on passait Millencolin, Celtas Cortos, Louise Attaque, Mano Negra... Et ce livre ne traite que des groupes et chanteurs des années 60, début 70.

Mais je m'embrouille, car ce livre m'a plu, et quand quelque chose nous plait, il devient difficile sans être confus d'en parler.

Dans ce livre, Martin imagine... Il imagine une suite à Woodstock et Altamont.

Woodstock, le « Summer of Love », le concert mythique que certains ont voulu égaler récemment, invitant des groupes actuels... Franchement, qu'est ce qu'il y a de communs entre la philosophie des groupes de 1969, des artistes de 1969, et ceux de 1999 ? A la limite, oui, Rage Against the Machine avait la flamme et l'engagement de ses prédécesseurs, ils m'ont fait découvrir Léonard Peltier, prisonnier politique aux USA depuis 1976 mais Metallica ? Ces bouffis autosatisfaits qui n'ont rien produits de bon depuis le Black Album ?

Comment égaler un jour la performance de Carlos Santana, et son Soul Sacrifice ? Les riffs démoniaques de Hendrix ?

Woodstock est l'été, l'apogée, le paradis hippie pendant trois jours. On milite contre le Vietnam, on rêve de lendemain meilleur, on veut changer le monde, on chante l'amour et la drogue. Lucy vole dans le ciel avec ses diamants, le lapin blanc accompagne Alice, on a tous besoin de quelqu'un à aimer, avec un peu d'aide de ses amis... On part dans la campagne...

On parle de paix, de liberté. Richie Havens crée une chanson, Freedom, sur scène, après avoir épuisé son répertoire, obligé de chanter parce que les autres groupes ne sont pas prêts. On écoute Pearl, plus connue sous le prénom de Janice, Grace Slick et ses Avions, John B. Sebastian, Pete Townsend, et d'autres dont les chansons sont immortelles.

Altamont est l'Automne, la fin du rêve.

On ne parle plus de ce concert maintenant. On ne parle plus de Mick Jagger, qui merde totalement et n'arrive pas à calmer la foule. On ne parle plus de ce jeune black tué sous ses yeux par un hell's angel, groupe chargés de la sécurité par les Stones.

Altamont marqua la fin d'une époque. La fin d'une illusion, l'illusion que la jeunesse pouvait changer le monde... On se focalise sur Woodstock, l'illusion, et pas sur Altamont, la réalité.

A cette époque naît le Hard Rock, moins axé sur le changement de société que sur une nostalgie du passé, une nostalgie de mondes inconnus, de fantasy et de fiction... Danse dans le noir, cette nuit,danse dans la lumière de la lune...

On s'éloigne de la réalité, on la fuit car elle n'est pas belle. On prends des drogue pour fuir, pas pour nourrir sa tête. On prends des escaliers pour les cieux, pas pour ouvrir les Portes de la perception. On chante la folie, « faites une blague et je soupirerai, et vous rirez, et je pleurerai ».

Rock'n Roll, Hard Rock, Metal... Dans les années 60, voir début 70, le Rock n' Roll parle d'amour, de paix, de lutte pour changer la société. On parle de partir à la campagne, sur la route. Après, on parle de la merde qu'est le monde, de rage intérieure, on est né pour être sauvage. On ne cherche plus du tout de changement, on cherche la fuite, le cri pour le cri. Le punk marque cet aboutissement, une volonté de destruction, sans volonté de construire. Le trash renouvelle cette rage, la reconstruit, la canalise dans des riffs rapides et efficaces, dans des cris... Cherche et Détruit !

Martin va imaginer autre chose, un troisième festival, l'Hiver de cette époque. Et le groupe qu'il invente, les Nazguls, m'évoque plus le hard rock, le metal que le simple rock'n roll des Pierres qui Roulent. Un troisième festival, imaginaire, et un groupe imaginaire.

A Woodstock, règne la paix et l'amour ; à Altamont un meurtre est commis sous les yeux des Stones ; à West Mesa, qu'invente l'auteur, c'est le chanteur du groupe phare qui est abattu, en plein concert. John Lennon est mort dans la rue, loin des lumières et de l’icône. Dans le récit de Martin, c'est en plein concert, au moment où des milliers d'yeux sont braqués sur le veau d'or, que la fin arrive.

Puis, 20 ans après, le producteur du groupe est tué. Un journaliste, jeune idéaliste de cette époque devenu écrivain médiocre, va chercher à faire un article sur le sujet. Le passé va revenir, ses anciens amis et ce qu'ils sont devenus, les rêves brisés, les illusions perdues, les illusions que l'on veut conserver même quand la réalité nous défonce le cul à coup de barre à mine et sans vaseline... Un voyage non pas initiatique, mais presque funèbre.

En fait, ce n'est certes pas un chef d’œuvre, et j'avais deviné quasiment la fin au ¾ de la lecture, fin prévisible et seule fin possible à moins d'avoir un courage que n'avait peut être pas Martin à l'époque (lui qui n'hésite plus maintenant à dézinguer ses personnages fétiches), mais les souvenirs qu'il évoque, les musiques qu'il évoque, ont suffis pour me plonger ailleurs. Martin a écrit ce livre en 1982, et il ne connaissait visiblement pas le metal, la pureté et la brutalité originelle de Metallica, ni le son étrange de la cold wave, Joy Division en tête, car sans cela certaines des phrases de son livre n'auraient pas été écrites.

Depuis la fac, alors que j'écoutais par ailleurs les doux sons du metal, j'ai eu une certaine nostalgie des groupes de cette époque. Certains sont encore sur les routes, comme les Stones, d'autres ont raccrochés, d'autres sont morts, suicidés ou par surdose, ce qui est parfois la même chose.

Mais j'ai toujours été un inconstant musical. J'écoute un titre, j'aime donc « j'achète » un album, que j'écoute en boucle pendant quelques semaines, avant de le reposer et de ne pas l'écouter avant plusieurs années. Ça ne veut pas dire qu'il ne me touche plus, juste que comme pour beaucoup de choses qui me plaise, je suis passé à autre chose. Un omnivore culturel inconstant, en quelque sorte.

Franchement, quand j'écoute Pearl et sa voix rauque offrir un morceau de son cœur, quand je vois Hendrix martyriser sa guitare, non loin du phare, The Bear de Canned Heat faire trembler les planches d'une scène avant de repartir sur la route, quand j'ouvre les portes de la Perception avec les cavaliers dans la Tempête, quand je vibre sur Grace Slick qui salue l'aube d'aujourd'hui en invitant à trouver quelqu'un à aimer, j'ai une grosse envie de remonter le temps, de me retrouver à l'angle de Hights et Ashbury, vivre cette époque, vêtu avec des chemises multicolores et des pattes d'eph'... Ça changerai de mes tenues noires habituelles, hein ?!

J'ai envie de jeter un sort sur toi, parce que tu es mienne.

C'est assez rares les bouquins qui, en les lisant, font que l'on a de la musique dans la tête. Et c'est ce qui m'est arrivé avec celui là... Ça m'était arrivé avec Rock Machine, de Spinrad, ou bien Outrages et Rébellion, de Catherine Dufour. Et évidemment avec Soul Music (accrocs du Roc), de Sir Terry Pratchett.

Ok, comme je disais, il n'est pas exceptionnel, pas aussi prenant que sa saga qui a faite connaitre Martin, mais il permet d'apercevoir les rêves et les espoirs de la génération qui fut celle de mes parents... Et de comprendre pourquoi maintenant, cette génération dégoûtée de ne pas avoir pu changer le monde s'accroche comme une bernique sur son rocher à cette société qu'elle rejetait alors.

Plongeon nostalgique dans le passé de l'auteur, ce livre n'est rien d'autre. Pas de message de révolte ou de réveil d'une jeunesse qui pense avec angoisse à un avenir sombre, comme on peut en trouver dans Rock Machine de Spinrad, ou dans Outrages et Rebellion, de Catherine Dufour. Pas de passéisme non plus, car Martin reste lucide sur cette époque. Juste un retour en arrière qui permet de découvrir ou redécouvrir un moment où la jeunesse occidentale a fait pousser des fleurs dans ses cheveux, de l'herbe dans son jardin, et s'est pris à rêver... avant de grandir, mal pour certains.

Je ne ferai ici que citer un passage de ce livre, passage qui sans être magnifique, m'a fait apparaître diverses images, comme je suis certains qu'elle en évoquera aux rares lecteurs de ce texte.

[…] eut l'étrange impression qu'il était pas seul, comme si d'autres musiciens l'avaient rejoint sur la scène. Il y avait un jeune noir élancé aux atours fantomatiques, longs foulards de couleurs vives noués autour du cou et de la taille, Stratocaster suspendue sur sa chemise à ruché. Il y avait une jeune femme un peu boulotte portant des lunettes démesurées et une robe à fleurs, avec un boa en plumes pourpre lové autour du cou et un large sourire tors éclatant. Plus loin se déplaçait un barbu élégant à la mine sévère vêtu de santiags en lézard et d'une tenue de cuir moulante. [...]
krieghund1974
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le 11 déc. 2013

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