Sur aucune mer du monde, même aussi près d’une côte, un homme n’aime se retrouver dans l’eau tout habillé-la surprise que c’est pour le corps de changer subitement d’élément, quand l’instant d’avant le même homme aussi bien bavardait sur le banc, à préparer ses lignes sur le balcon arrière, et puis l’instant d’après, voilà, un autre monde, les litres d’eau salée, le froid qui engourdit et jusqu’au poids des vêtements qui empêche de nager.
L’homme à la mer, c’est Antoine Lazenec, promoteur immobilier. Celui qui l’y a poussé, Martial Kermeur, fait partie de « ceux qui ne sont rien » et qui n’ont pas grand chose. Une petite maison de gardien décrépite dans un domaine abandonné du Finistère, un fils parti à la dérive, et une prime de licenciement engloutie, six ans auparavant, dans le projet pharaonique de station balnéaire de Lazenec. Quand Kermeur est présenté au juge, il n’y a plus pour lui qu’une issue : tenter d’expliquer et de s’expliquer comment lui et tous les habitants de sa ville sinistrée ont pu se laisser berner par un homme venu de nulle part.
Si j’ai inconditionnellement aimé Article 353 du Code pénal, c’est parce qu’il n’est pas seulement un polar social habilement mené dont compte moins le déroulement de l’affaire, limpide dès les premières lignes, que l’intime conviction que se forge le juge avec lequel le lecteur se confond.
Pas seulement un roman fortement engagé, qui règle son compte aux promoteurs de miracles économiques dont ils sont souvent les seuls bénéficiaires.
Pas seulement non plus un livre bretonnant, qui sent le sel, la solitude des ciels bas et gris, et des bateaux restés à quai dans une éternelle hors saison.
C’est aussi, et surtout, parce que c’est un magnifique roman de la parole, celle redonnée par la justice à un homme taiseux abusé par un beau parleur, et qui se reconstruit une dignité en laissant enfin libre cours au flot de ses mots, à la fois simples et imagés. Un flot dans lequel le lecteur est irrémédiablement aspiré et dont il ressort lessivé, ému, et étrangement apaisé.
Avec l’intime conviction d’avoir lu un grand livre.